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Mystčre en coulisses
de Patricia Rosemoor

 

Chapitre 1: Page 1

Las Vegas.

Des myriades d'enseignes clignotaient, illuminant le Strip de leurs feux multicolores. A l'instar des touristes qui sillonnaient sans relâche cette avenue ŕ la poursuite du gros lot qu'ils espéraient décrocher ŕ quelque table de jeu, elle avait été éblouie en la découvrant pour la premičre fois. A présent, ce luxe de pacotille ne l'impressionnait plus. Tout ici n'était qu'illusion et poudre aux yeux destinée ŕ appâter les joueurs.

La ville entičre – capitale de tous les excčs – n'était en somme qu'une immense supercherie. Une fois pris au jeu, il ne vous restait plus qu'ŕ payer et payer encore... de votre personne, le cas échéant.

Les portes vitrées qu'elle venait de franchir se rouvrirent automatiquement derričre elle, laissant échapper un flot de tintements en provenance des innombrables machines ŕ sous. Cette musique étrange la poursuivait parfois jusque dans son sommeil et l'aurait probablement rendue folle s'il lui avait fallu travailler au coeur d'un tel enfer.

Elle se sentait néanmoins devenir folle. Qu'allait-elle faire ?

Sa voiture refusa de démarrer – en dépit d'une batterie toute neuve. Cela ne l'exaspéra męme pas, tant elle avait l'esprit préoccupé. En fait, sa conscience lui posait un véritable dilemme : comment pouvait-elle se taire, sachant ce qu'elle savait ?

Elle envisagea un instant de prendre un taxi, mais elle habitait ŕ moins d'un kilomčtre de lŕ, et la marche ŕ pied l'aiderait peut-ętre ŕ y voir plus clair. Ajustant son sac sur l'épaule, elle commença ŕ descendre l'avenue vers le sud, partagée entre des sentiments contradictoires. Devait-elle garder prudemment pour elle ce qu'elle venait d'apprendre, ou bien l'ébruiter sans se soucier des conséquences ? Tentée d'opter pour la seconde solution, elle se demanda si la police la protégerait, le cas échéant.

En approchant du chantier de rénovation d'un vieux casino, elle décida d'emprunter un raccourci qu'elle connaissait bien. Elle contourna la façade flanquée de grands échafaudages pour s'engager dans un terrain vague parfaitement désert, faiblement éclairé par quelques lanternes. Sur sa droite, un grillage soutenu par des poteaux délimitait la partie interdite au public.

Profondément absorbée par ses réflexions et persuadée d'ętre seule, elle avançait sans pręter attention ŕ ce qui se passait autour d'elle, quand un bruit de pas précipités la fit tressaillir. Inquičte, elle jeta un coup d'śil derričre elle. Une silhouette floue se rapprochait ŕ une vitesse alarmante. Męme s'il ne s'agissait que d'un piéton inoffensif pressé de regagner son domicile, le risque d'agression dans cet endroit isolé n'était pas exclu. Evaluant rapidement la distance qui les séparait, elle s'élança ŕ toutes jambes.

Un claquement de semelles sur l'asphalte se męla au bourdonnement du sang dans ses oreilles. De plus en plus distinct, il résonna bientôt dans le silence comme un rire moqueur. Son poursuivant n'allait pas tarder ŕ la rattraper. Affolée, elle chercha des yeux un endroit oů se cacher. Pourquoi pas le chantier ? Une brčche dans le grillage lui fournissait justement une issue providentielle. Elle s'y glissa aussitôt. Pas assez vite. Une brusque secousse la fit trébucher tandis qu'une main saisissait la courroie de son sac. Presque soulagée, elle dégagea son épaule, abandonnant ŕ son agresseur ses accessoires de coiffure et de maquillage, ainsi que les trente ou quarante dollars qui lui restaient.

– Allez-y, prenez-le, dit-elle, haletante, tout en se réfugiant de l'autre côté.

– C'est toi qu'il me faut.

Reconnaissant la voix dans l'obscurité, elle se figea brusquement. C'était inévitable. Elle avait espéré un moment... Mais non. C'était inévitable.

– Ne faites pas cela. C'est inutile, assura-t-elle avec toute la force de persuasion dont elle était capable. Je ne dirai rien.

Pourquoi avait-elle tant attendu pour en arriver lŕ ?

Si le visage restait dans l'ombre, la lame d'un couteau luisait toutefois ŕ la faible lueur d'une lanterne. Glacée de terreur, elle la vit fendre les ténčbres, droit sur elle.

Las Vegas. Quel délire !

Au volant de sa décapotable louée ŕ l'aéroport, Natacha Brozynski prit la direction du Strip, le fameux boulevard aux innombrables casinos. Le sphinx géant qui flanquait l'entrée du plus récent complexe hôtelier de la ville – copie conforme d'une authentique pyramide égyptienne – lui arracha son premier « oh » de stupéfaction. Un peu plus loin, un immense château moyenâgeux hérissé de donjons et un lion doré aux dimensions colossales semblaient se défier d'un côté ŕ l'autre du carrefour.

Comme Lily le lui avait expliqué, la démesure était de rčgle dans cette cité ahurissante. Ce qui n'empęchait pas la New-Yorkaise en principe blasée qu'était Natacha de s'extasier devant cette gigantesque usine ŕ ręves, fűt-elle d'un goűt pour le moins douteux.

Son sourire ravi s'évanouit bien vite, toutefois, quand elle découvrit l'embouteillage qui l'attendait sur Las Vegas Boulevard. La circulation était pratiquement arrętée d'un feu rouge ŕ l'autre, aussi loin que sa vue lui permît d'en juger. D'aprčs son plan de la ville, il lui restait environ six kilomčtres ŕ parcourir pour se rendre ŕ la chapelle oů sa meilleure amie s'apprętait ŕ se marier. La cérémonie commencerait dans vingt minutes ŕ peine, et exigerait sa présence en tant que témoin et demoiselle d'honneur de la mariée. Elle aurait préféré arriver quelques jours plus tôt, mais Lily ne lui avait annoncé la grande nouvelle qu'au dernier moment, deux jours avant le jour J exactement. D'ailleurs, Natacha s'estimait heureuse d'avoir trouvé une place d'avion le matin męme.

– Allons, avancez ! Personne ne sait donc conduire correctement, dans cette fichue ville ? Chauffards du dimanche !

Exaspérée, elle souligna ses propos d'un bon coup de klaxon. D'autres avertisseurs lui répondirent instantanément, et elle se tassa dans son sičge avec un soupir résigné. Elle allait arriver en retard, et Lily ne le lui pardonnerait jamais.

De longue date, son amie connaissait son manque d'exactitude et sa nonchalance d'artiste. Mais peut-ętre s'agissait-il lŕ de compenser le rythme trépidant de son existence ŕ New York, et plus précisément ŕ Broadway oů elle se produisait sur une scčne de music-hall.

Cette fois-ci, pourtant, ce n'était pas sa faute. Elle avait vraiment fait tout son possible pour arriver ŕ l'heure aujourd'hui. Arrętée ŕ un feu rouge, elle profita de l'occasion pour se regarder dans le rétroviseur. Horreur ! Bien qu'elle eűt enfilé un petit ensemble de soie et rafraîchi son maquillage un quart d'heure avant l'atterrissage, ses cheveux ŕ présent ébouriffés par le vent lui donnaient l'air d'une folle. Soucieuse de faire honneur ŕ Lily, elle prit un peigne dans son sac et s'efforça de discipliner la cascade de boucles qui encadraient son visage. Tout en redémarrant au vert, elle fouilla dans son sac ŕ la recherche de son blush, afin de l'utiliser au prochain arręt.

L'opération achevée, elle consulta de nouveau la pendule : il ne lui restait plus que sept minutes...

– Mon Dieu, Lily, je suis désolée !

Observant les façades scintillantes des casinos-hôtels qui bordaient l'avenue, ŕ la recherche d'un repčre quelconque, elle reconnut le Caraďbes oů travaillait son amie, danseuse de revue au music-hall de l'hôtel. A trois immeubles de lŕ, une chapelle tout illuminée de néons tapageurs attirait irrésistiblement le regard. Natacha crut un moment avoir atteint son but, puis déchanta en lisant l'inscription qui surmontait la porte. Il y avait des centaines de chapelles de ce genre ŕ Las Vegas, capitale du mariage ultrarapide. Cinq cents mčtres plus loin, une déception identique l'attendait. A quatre minutes de l'heure fatidique, le compte ŕ rebours avait commencé. Du moins la circulation était-elle fluide, ŕ présent. Deux minutes plus tard, elle aperçut enfin la « Petite Chapelle des Amoureux », une bâtisse pimpante avec son clocher ajouré et son crépi immaculé.

Soulagée d'ętre arrivée juste ŕ temps, la jeune femme se gara sur le parking presque vide, courut jusqu'ŕ l'entrée, puis ralentit le pas avant de se faufiler par la porte entrouverte. Elle ne trouva personne dans le petit vestibule tapissé d'innombrables clichés de couples souriants, et pénétra dans la nef. De grandes gerbes de roses blanches fleurissaient l'autel éclairé par des chandeliers. Un orgue occupait un pan de mur sur la droite ; de l'autre côté de l'allée, aprčs la derničre rangée de bancs, une estrade garnie de plantes vertes et de bouquets de lis avait été installée en guise de cadre pour la prise des photos.

Seulement, il n'y avait ni photographe, ni organiste, ni prętre... ni futurs mariés ! Que se passait-il donc ?

– Puis-je vous renseigner ?

Natacha fit volte-face en entendant une voix derričre elle. Un homme d'une soixantaine d'années vętu d'un surplis se tenait prčs de l'autel.

– Je suis venue assister ŕ un mariage, celui de Lily Weston, dit-elle. Me serais-je trompée de jour ou d'heure ?

– Non, mais c'est peut-ętre le cas de Mlle Weston, répondit l'ecclésiastique d'un ton de reproche. Elle aurait dű arriver une demi-heure ŕ l'avance pour se préparer.

– Elle serait donc en retard ŕ son propre mariage ? s'exclama Natacha.

Décidément, la situation ne manquait pas de piquant. Et dire qu'elle avait elle-męme frôlé l'ulcčre dans son souci d'arriver ŕ l'heure !

– Il n'y aura pas de mariage, malheureusement.

Sur ces mots, le prętre inclina bričvement la tęte et s'éloigna.

– Excusez-moi, hum, révérend... ?

– Floyd Edelman, dit-il en s'immobilisant.

– Révérend Edelman, pourquoi annuler la cérémonie ?

– Parce que je dois unir un autre couple dans moins d'une demi-heure.

Lily avait vraiment mal choisi son moment pour renoncer ŕ sa ponctualité coutumičre, songea Natacha.

– Puis-je utiliser votre téléphone afin d'appeler mon amie ?

– J'ai déjŕ essayé ŕ plusieurs reprises. Personne ne répond.

– Elle est donc en route, conclut Natacha. Elle ne va plus tarder ŕ arriver, et il vous suffira d'abréger légčrement le rituel.

– Je ne l'attendrai pas plus de dix minutes.

– Et si nous appelions le futur époux ?

– Hélas, je n'ai aucun renseignement ŕ son sujet, dit Edelman en détournant les yeux.

– Nous trouverons son numéro dans l'annuaire. Comment s'appelle-t-il ?

– Je ne sais pas.

– Un instant, je vous prie. Qu'est-ce que cela signifie ? Vous ne connaissez pas l'identité des gens que vous vous apprętez ŕ unir ?

A vrai dire, Natacha ne pouvait pas s'en étonner outre mesure. Lily ne lui avait livré qu'un minimum d'informations au cours de son appel éclair, omettant de mentionner le nom de l'élu de son cśur qu'elle avait simplement surnommé « Gueule d'amour » au cours de la conversation.

– Cette affaire s'est déroulée de façon plutôt insolite, déclara le prętre d'un ton un peu brusque. Mlle Weston n'a pris contact avec moi qu'avant-hier. Elle entendait s'occuper elle-męme des formalités légales, comme si tout devait se dérouler dans le plus grand mystčre. Mais ŕ 10 heures et demie, je n'ai vu arriver personne. L'organiste et le photographe qui attendent ŕ côté n'ont pas davantage été rémunérés pour leur temps perdu.

Il regarda Natacha comme s'il attendait qu'elle remédiât ŕ cet inconvénient. De toute évidence, ce prętre se livrait ŕ un véritable commerce, jugea-t-elle. Par conséquent, il avait certainement exigé un acompte.

– Lily est probablement bloquée sur le Strip dans ce maudit encombrement. Me permettez-vous de l'attendre ici ? demanda-t-elle.

– Naturellement.

Le bruit d'une voiture qui arrivait les interrompit.

– La voici enfin ! dit Natacha avec un soupir de soulagement.

Mais ce n'était que la future mariée de la cérémonie suivante. Tandis que le prętre entraînait la jeune femme et ses demoiselles d'honneur vers la sacristie, Natacha sombra dans un état de stupeur indicible. Oů diable étaient passées Lily et sa « Gueule d'amour » ?

Quelques minutes plus tard, une seconde voiture suivit, et trois jeunes gens en habit parurent ŕ leur tour. L'un d'eux était-il le fiancé de Lily ? Natacha s'apprętait ŕ les aborder quand Edelman s'interposa, puis escorta le petit groupe dans la męme direction que le premier.

Plusieurs voitures se succédčrent ensuite. Les invités du mariage suivant, déguisés en vedettes de cinéma, dévisagčrent Natacha avec curiosité en allant s'asseoir ŕ leur place. L'organiste entra enfin et plaqua quelques accords sur son instrument. De son côté, le photographe cherchait le meilleur angle pour filmer avec sa caméra vidéo.

Et Lily ne se montrait toujours pas ! Natacha commençait ŕ s'inquiéter sérieusement. Cette défection ne ressemblait pas du tout ŕ son amie. Avait-elle regretté une décision impulsive et changé d'avis au dernier moment ? Elle avait peut-ętre appelé les invités qu'elle pouvait joindre pour tout annuler. Mais dans ce cas, elle aurait également averti le prętre.

– Il a dű se passer quelque chose, dit-elle ŕ Edelman qu'elle parvint ŕ intercepter entre deux portes.

– C'est évident. Mais hélas, je n'ai vraiment pas le temps de m'interroger sur les lubies de Mlle Weston. A présent, je dois vous demander de partir ; la cérémonie va bientôt commencer.

– Trčs bien. Je comprends.

Indignée par l'indifférence de cet homme de Dieu – ou supposé tel –, Natacha quitta les lieux sans le saluer et regagna sa voiture. Elle déplia vivement le plan de la ville et localisa la rue oů habitait Lily, espérant la trouver ŕ domicile avec un téléphone en dérangement, par exemple. Au demeurant, son amie lui avait proposé de l'héberger aussi longtemps qu'il lui plairait, et elle comptait en profiter pour essayer de décrocher un contrat ŕ Las Vegas.

La circulation se fluidifia dčs qu'elle quitta le Strip, et elle atteignit la résidence de Lily en moins de dix minutes. Une dizaine d'immeubles coquets se disséminaient par groupes de deux ou trois dans un jardin tropical agrémenté d'une piscine centrale. Celui de son amie se trouvait en retrait des autres, avec un accčs aux appartements par un couloir extérieur. Natacha gravit l'escalier en courant et repéra rapidement le 2C. Ses coups sur la porte auraient pu réveiller un mort. Mais personne ne vint lui ouvrir.

– Bon sang !

Qu'allait-elle faire, ŕ présent ?

Les deux amies avaient longtemps partagé le męme appartement ŕ New York. Si Lily n'avait pas changé, la clé était peut-ętre cachée sous le paillasson. Natacha vérifia aussitôt, sans succčs. Découragée, elle glissa la main ŕ tout hasard derričre l'applique murale. En vain. Se haussant enfin sur la pointe des pieds, elle promena alors les doigts sur le rebord supérieur du cadre de la fenętre. Un objet métallique tomba ŕ ses pieds.

– Ouf, murmura-t-elle en ramassant la clé.

L'intérieur, un peu froid et impersonnel, était parfaitement en ordre. Natacha retrouvait bien lŕ son amie, une maniaque du rangement. La salle de séjour servait ŕ la fois de salon et de salle ŕ manger. Jetant un coup d'śil autour d'elle, Natacha visita ensuite sommairement les autres pičces – cuisine, chambre et salle de bains – sans rien remarquer qui évoquât les préparatifs fébriles d'une jeune femme sur le point de se marier.

Le caractčre insolite de la situation l'alarma. L'intuition de Natacha la trompait rarement : Lily était certainement en difficulté. Sans hésiter davantage, elle décrocha le téléphone et alerta la police.

A la fin de la conversation, elle n'était gučre plus avancée. Grâce ŕ Dieu, Lily Weston n'avait fait l'objet d'aucun rapport d'accident. Quand Natacha demanda si des recherches seraient entreprises, le policier lui répondit qu'il était trop tôt pour cela. Sur le point de se marier, Lily aurait pu opter pour une fugue amoureuse, suggéra-t-il. Elle devait avoir disparu depuis plus de quarante-huit heures pour que son signalement fűt diffusé.

Furieuse, Natacha raccrocha sčchement et fit le point de la situation. En somme, elle devait se débrouiller seule. La premičre démarche consistait ŕ vérifier l'hypothčse d'une fugue. Mais par quel moyen ?

Une idée lui vint ŕ l'esprit : les bagages ! Quelle femme songerait ŕ s'enfuir avec un amoureux sans emporter une partie de sa garde-robe ?

En ouvrant la penderie de la chambre, elle remarqua aussitôt la robe blanche accrochée ŕ un cintre dans sa housse de plastique. Trčs simple, d'une ligne presque épurée, c'était néanmoins de toute évidence une robe de mariée. Les yeux de Natacha s'embučrent. Elle essuya une larme furtive et poursuivit sa quęte. Sur la plus haute étagčre, elle trouva la grande valise ŕ roulettes et les deux sacs de voyage de Lily. Apparemment, la jeune femme n'était pas partie en voyage.

Afin d'étayer cette premičre découverte, Natacha décida de poursuivre son enquęte ŕ l'hôtel oů travaillait son amie. Peut-ętre des collčgues lui fourniraient-ils plus de renseignements. Sans perdre une minute, elle attrapa son sac et la clé, claqua la porte derričre elle et reprit le volant.

La gorge serrée par l'appréhension, elle s'efforça de chasser les scénarios catastrophes qui se bousculaient dans son esprit.

Ayant mis au point son plan d'action, Natacha se sentait plus optimiste en arrivant au Caraďbes, un ancien casino-hôtel sauvé de la démolition par un certain Dan Donatelli. Selon la description de Lily, Dan était un bel homme d'une trentaine d'années dont le pčre avait appartenu ŕ la mafia avant d'ętre incarcéré de longues années dans les geôles du Nevada. Quand la capitale du jeu avait entrepris de redorer son image pour devenir un gigantesque parc d'attractions destiné aux familles, les individus au passé douteux s'étaient vus en effet évincés. Le fils Donatelli avait alors repris la direction de l'hôtel rénové, sans tomber dans les travers du pčre.

Gardant ŕ l'esprit le contexte dans lequel évoluait son amie, Natacha se fraya un chemin au sein de ce casino géant oů régnait un bruit étourdissant. Qu'on se rendît au bar, au restaurant, aux boutiques ou ŕ la salle de spectacles, le jeu restait au cśur de toutes les activités. Quelques joueurs qui cherchaient ŕ gagner sur plusieurs tableaux ŕ la fois tentčrent de l'approcher mais, habituée ŕ déjouer les pičges de la rue, elle les évita adroitement sans męme ralentir le pas.

Au centre de la salle, un homme de haute taille, ŕ la silhouette élancée, lui fit cependant tourner la tęte. Vętu d'un costume clair, d'une élégance décontractée, il inspectait les lieux comme si l'établissement lui appartenait. Son visage aux traits énergiques ne manquait pas de caractčre, et bien des femmes devaient succomber ŕ une telle séduction, jugea Natacha, elle-męme sous le charme. Quand les yeux de jade du bel inconnu croisčrent bričvement son regard, les battements de son cśur s'accélérčrent inexplicablement.

Puis un autre personnage entra dans son champ de vision : un videur, en chemise et pantalon noirs, taillé comme une armoire ŕ glace, dont la carrure occupait toute la largeur de la porte devant laquelle il se tenait. En l'apercevant, Natacha frémit, s'efforçant de refouler les souvenirs terrifiants qui surgissaient d'un passé encore trop frais dans sa mémoire.

Elle se ressaisit aussitôt et continua d'avancer au milieu des rangées de machines ŕ sous, déterminée ŕ consacrer toute son énergie ŕ son enquęte. Quelques secondes plus tard, elle atteignait le music-hall devant lequel flânaient déjŕ quelques badauds, une heure avant le début de la premičre représentation de la soirée.

– Puis-je vous ętre utile ? demanda avec empressement l'employé qui gardait l'entrée de la salle, en apercevant Natacha.

Comme la plupart de ses collčgues, il portait une tenue décontractée – chemise ŕ fleurs exotique et pantalon de lin souple.

Elle lui rendit son sourire.

– Je cherche Lily Weston, une danseuse de la troupe.

– Oui, je la connais. Vous ętes sans doute l'une de ses amies ?

– Sa meilleure amie, plus exactement.

– Ah, vous venez de New York, n'est-ce pas ?

– Comment l'avez-vous deviné ? demanda Natacha en accentuant ŕ peine l'accent nasillard des faubourgs de Manhattan. Lily et moi, nous partagions le męme appartement et dansions ensemble ŕ Broadway.

Elle laissa le garçon évaluer la longueur de ses jambes d'un śil averti.

– Je l'aurais parié.

– Puis-je aller la retrouver dans les loges ?

– Hum, en principe, je ne peux laisser entrer que les personnes inscrites sur ma liste.

– Mais Lily m'attend, insista Natacha avec un accent de détresse émouvant.

Le jeune homme se dandina d'un air embarrassé.

– Elle n'a rien signalé...

– J'étais en retard ŕ notre rendez-vous en ville et j'ai décidé de la rejoindre ici. M'autorisez-vous ŕ entrer, s'il vous plaît ?

– Ce ne serait pas une entorse bien grave au rčglement, je suppose.

Aprčs avoir jeté un coup d'śil sur le badge accroché au revers du col, Natacha le gratifia d'un sourire éblouissant.

– Merci, Frankie.

Subjugué, il lui ouvrit la porte et pointa l'index vers la droite.

– Suivez cette allée jusqu'au bout ; elle donne accčs aux coulisses.

Natacha se hâta de suivre ces indications avant qu'il eűt changé d'avis ou qu'un employé moins accommodant s'avisât de lui barrer le chemin.

Le cśur battant, elle gravit l'escalier. Les artistes arrivaient un ŕ un, et elle emboîta le pas ŕ une jolie blonde pétillante qui la mena tout droit ŕ la loge des danseuses. Un joyeux brouhaha régnait dans la pičce oů les girls enfilaient leurs costumes et se maquillaient tout en bavardant avec animation.

Seule une jeune femme aux boucles platine, plus maniérée que ses compagnes, remarqua Natacha qui se tenait sur le seuil.

– Qui ętes-vous ? demanda-t-elle en nouant une ceinture sur son body de satin.

– Natacha Brozynski, une amie de Lily Weston. Est-elle ici ?

– Pas ce soir.

La jeune femme fit pivoter son sičge pour se regarder dans le miroir.

– Elle était déjŕ absente hier soir.

– Savez-vous oů je pourrais la trouver ?

– Pas du tout. Je regrette.

– Ecoutez, ce n'est pas normal, dit Natacha d'un ton pressant. Elle est introuvable le jour męme de son mariage !

La blonde écarquilla les yeux dans le miroir.

– Son mariage ? Qui devait-elle donc épouser ?

– J'espérais l'apprendre ici, répliqua Natacha avec un soupir.

La danseuse se leva et se tourna vers les autres.

– Hé, les filles ! Quelqu'un savait-il que Lily allait se marier ? cria-t-elle assez fort pour dominer le tumulte.

Le silence se fit instantanément. Une douzaine de girls plus ou moins dévętues dévisagčrent Natacha avec stupéfaction.

– J'ignorais męme qu'elle fréquentait quelqu'un, dit l'une.

– Moi aussi.

– Je comprends maintenant qu'elle ait refusé un rendez-vous avec un riche client qui lui faisait des avances, samedi dernier, ajouta une troisičme. En tout cas, voilŕ une excuse imparable pour ses deux jours d'absence ; M. Dan ne pourra plus lui en tenir rigueur.

– En fait, elle ne s'est pas mariée, expliqua Natacha. Du moins, pas ŕ ma connaissance. Je devais ętre son témoin, mais personne n'est venu ŕ l'église ; elle n'a pas męme pris la peine de décommander la cérémonie.

– Les deux tourtereaux auront pris la clé des champs, suggéra la blonde.

– Ses bagages sont restés dans son placard.

Un rire fusa au fond de la pičce.

– A-t-on vraiment besoin de vętements pour une lune de miel ? lança une voix mutine.

La réflexion déclencha l'hilarité générale. Décidément, personne ne prenait ses préoccupations au sérieux, songea Natacha. Quelqu'un devait pourtant en savoir un peu plus. Elle n'avait pas l'intention de baisser les bras, ni de repartir sans savoir ce qui était arrivé ŕ Lily.

Une solution lui vint ŕ l'esprit. Ne s'était-elle pas pratiquement engagée auprčs de son amie ŕ s'installer quelque temps ici ?

– Vous avez certainement raison, admit-elle. Elle doit filer le parfait amour dans un petit coin de paradis. J'espčre tout de męme qu'elle ne tardera pas ŕ revenir. Elle devait m'aider ŕ trouver du travail.

Son regard s'éclaira, comme s'il lui venait une idée.

– Dites-moi, croyez-vous que je puisse me faire embaucher ici ?

– Etes-vous une artiste de Broadway, comme Lily ? demanda la blonde platinée.

– Nous nous sommes rencontrées lŕ-bas.

– Par conséquent, vous savez danser. Mais accepteriez-vous de dévoiler plus ou moins votre anatomie ?

– Ce ne serait pas la premičre fois, affirma Natacha.

A Las Vegas, les costumes des danseuses étaient beaucoup plus succincts qu'ŕ New York. Mais selon Lily, le Caraďbes demeurait l'un des derniers bastions qui résistaient encore ŕ la mode des seins nus.

– Parlez-en ŕ M. Dan, conseilla l'une des filles. De toute façon, son accord est indispensable pour ętre engagée dans la troupe.

– Vous parlez sans doute de Dan Donatelli ? demanda Natacha.

– C'est ça, mon chou, répondit une autre. Et vous ętes tout ŕ fait son genre.

Fronçant les sourcils, Natacha se tourna vers la blonde sophistiquée dont l'expression s'était brusquement assombrie.

– Comment pourrais-je rencontrer M. Donatelli ?

– Vous vous adressez ŕ moi avec votre plus beau sourire.

La voix de baryton qui venait de prononcer ces paroles fit tressaillir Natacha. Elle fit volte-face et reconnut le videur dont la carrure obstruait l'embrasure de la porte. La jeune femme dut fournir un effort pour surmonter son malaise. Si la silhouette massive lui rappelait quelque chose, les cheveux bruns grisonnant sur les tempes et les yeux au regard perçant n'évoquaient rien pour elle.

Mais quand donc le passé cesserait-il de lui jouer des tours de ce genre ? s'exaspéra-t-elle tout en se persuadant qu'elle n'avait rien ŕ craindre de cet inconnu.

– A qui ai-je le plaisir de parler ? demanda-t-elle le plus gracieusement possible.

L'homme lui tendit une main robuste.

– Je suis Vito Tolentino, le bras droit de Dan Donatelli.

– Natacha Brozynski. J'habite New York.

Remarquant une bosse sous l'aisselle gauche de son interlocuteur, elle concentra aussitôt son attention ailleurs.

– En attendant mon prochain contrat ŕ Broadway, je tenterais volontiers ma chance ici.

– Mmm, fit Tolentino sans se prononcer davantage. Le patron trouvera probablement un moment pour vous mettre ŕ l'essai. Venez, je vais vous le présenter.

Plus ou moins rassurée, Natacha lui emboîta le pas sous les encouragements et les applaudissements des girls. Néanmoins, la blonde platinée la gratifia au passage d'un tel regard mauvais que, déconcertée, elle trébucha sur le seuil.

– Merci. Excusez-moi, bredouilla-t-elle tandis que Vito l'aidait ŕ reprendre son équilibre.

– J'espčre que vous dansez mieux que vous ne marchez, ironisa celui-ci.

Mortifiée, Natacha se promit d'éviter désormais tout faux pas.

Au dernier étage du Caraďbes, Dan Donatelli ouvrit la porte de son appartement panoramique et céda le passage ŕ Mac Schneider, un croupier qui travaillait pour lui depuis plusieurs mois et qu'il venait de convoquer.

...

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