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La clinique de la valléede Marion LENNOXCollection Chapitre 1 : page 1
Kate savait fort bien qu’il lui faudrait un jour dire adieu ŕ Betsy. C’est ainsi qu’elle avait surnommé sa vieille voiture, dont le moteur poussif lui avait déjŕ plus d’une fois joué de mauvais tours. Mais le moment était vraiment mal choisi ! A minuit, sur cette petite route déserte de la brousse australienne, ŕ cinq kilomčtres de la ferme la plus proche, le véhicule ŕ bout de souffle s’était mis ŕ chauffer dangereusement, puis s’était brusquement immobilisé sans crier gare. Comment allait-elle se tirer de ce mauvais pas ?
Comme pour ajouter encore ŕ son infortune, une violente averse s’abattit soudain sur la carrosserie fumante. Une odeur de brűlé envahit tout ŕ coup le petit habitacle, tandis qu’un crépitement sinistre s’élevait du capot fermé.
Prise de panique, Kate ouvrit la portičre et se jeta dans la tourmente.
Elle n’entendit pas la Mercedes qui stoppait ŕ quelques mčtres derričre elle, mais une voix masculine furieuse la fit sursauter :
— Mais enfin, que se passe-t-il ?
Elle se retourna en tremblant. Son jean et son T-shirt étaient complčtement trempés et ses belles boucles, dont le reflet roux sombre si rare faisait l’admiration de tous, pendaient lamentablement le long de son cou. L’inconnu la dévisageait sans la moindre sympathie.
— Que fait votre voiture au milieu de la route ? Vous ętes devenue folle ?
Il s’approcha ŕ grandes enjambées. C’était un homme blond de haute taille ŕ la silhouette sportive, qu’elle n’avait encore jamais rencontré dans la région.
Aprčs avoir jeté un coup d’śil ŕ la carcasse pitoyable de Betsy, il sembla soudain perdre sa mauvaise humeur. Il adressa enfin ŕ Kate un sourire plein de malice.
— Oh, je vois… Sans doute puis-je vous ętre utile, madame ?
Exaspérée par son air sűr de lui, tout autant que soulagée par l’arrivée miraculeuse d’un ętre humain dans ce désert inhospitalier, Kate eut beaucoup de mal ŕ recouvrer son sang-froid. Elle commençait ŕ claquer des dents sous ses vętements mouillés, et jugea qu’elle n’avait pas le choix. Force lui était d’accepter malgré elle le rôle de la pauvre femme fragile reconnaissante au mâle secourable qui passait par lŕ ! D’ailleurs, c’était peut-ętre la vie de la petite Tracy, au chevet de laquelle elle se rendait, qui se trouvait en jeu en l’occurrence.
— Je suis tombée en panne…, finit-elle par bredouiller.
L’inconnu sourit de plus belle.
— Oh, vraiment ? Je pensais que vous vous étiez arrętée ici pour admirer le paysage. Vous croyez que c’est un problčme de moteur ?
Kate haussa les épaules d’un air furieux et lui désigna la carlingue fumante.
— Qu’est-ce qui a mis ma voiture dans cet état, ŕ votre avis ? La faim ou la colčre, peut-ętre ?
Son compagnon éclata de rire. Mais sa gaieté fut aussitôt interrompue par un jet de vapeur qui jaillit du moteur en sifflant. Kate se recula juste ŕ temps pour éviter les tourbillons de fumée qui s’échappčrent bientôt du véhicule. Et tout ŕ coup, de hautes flammes s’élevčrent du capot.
— Mon Dieu ! Mon sac !
Elle se précipita pour le saisir sur la banquette arričre.
— Ne soyez pas stupide !
L’inconnu se rua sur elle pour l’écarter du véhicule en feu, mais elle eut le temps d’actionner la poignée déjŕ brűlante et d’attraper sa sacoche de cuir. L’homme la tira violemment en arričre et, l’entraînant ŕ toute vitesse, se jeta avec elle sur le sol ŕ quelques mčtres de lŕ, en la protégeant de son propre corps.
Il était temps. La malheureuse voiture explosa tout ŕ coup comme une bombe.
Pendant quelques instants qui lui parurent un sičcle, Kate resta ainsi clouée au sol sous le poids de l’inconnu qui venait de lui sauver la vie. Elle avait le souffle coupé, et son pouls battait ŕ cent ŕ l’heure. Le vrombissement et la chaleur de l’incendie ajoutaient encore ŕ sa terreur.
Mais bientôt, les flammes commencčrent ŕ diminuer, et l’inconnu l’aida ŕ se relever. Kate serrait contre elle sa précieuse sacoche, trop heureuse d’avoir pu la sauver de la catastrophe : tous ses instruments médicaux s’y trouvaient. L’homme avait de nouveau l’air furieux.
— Vous auriez pu ętre tuée ! Mais que diable y a-t-il de si précieux dans cette sacoche ?
— Je… je vous remercie de m’avoir sauvée.
— J’espčre que ce sont au moins des diamants !
— Oh, je n’aurais pas risqué ma vie pour des diamants…
Devant l’air assuré de Kate, l’inconnu sembla enfin recouvrer son humour.
— Alors, il s’agit de votre robe de cocktail favorite, sans doute ?
— C’est ma mallette de médecin.
L’homme ouvrait des yeux tout ronds. Kate le regarda avec une calme détermination.
— Pouvez-vous me conduire trčs vite jusqu’ŕ la prochaine ferme ? Les Cameron m’attendent pour que je soigne leur petite fille. C’est une urgence.
— Vous ętes… ?
— Médecin, oui.
Il la dévisagea d’un air incrédule.
— S’il vous plaît ! Il nous faut faire vite, je vous en prie !
Il lui ouvrit sans un mot la portičre de la Mercedes. Tandis qu’elle lui indiquait le chemin, il l’observait du coin de l’śil.
— Je n’arrive pas ŕ le croire. Vous avez l’air si…
— Si quoi ?
— Je ne sais pas… fragile…
Kate eut un petit rire sarcastique.
— Je ne corresponds pas ŕ l’image que vous avez d’un médecin, n’est-ce pas ?
L’étranger garda le silence quelques instants.
— Cette petite fille, Tracy, de quoi souffre-t-elle ?
— D’aprčs les symptômes, je pense qu’il s’agit d’une laryngite diphtérique.
Il ne fit aucun commentaire mais accéléra l’allure. Bientôt, la ferme des Cameron fut en vue au bout d’un chemin de terre.
Chapitre 1 : page 2
En saisissant sa sacoche, Kate ne put retenir un léger gémissement. Elle s’était brűlé les doigts sur la carrosserie incandescente, et si elle n’y avait pas pris garde sur le moment, elle commençait ŕ souffrir des boursouflures douloureuses qui s’étaient formées. Son compagnon les remarqua.
— Il faut nettoyer ces brűlures, sinon elles vont s’infecter.
Kate haussa les épaules. Pour qui se prenait-il ? De quel droit lui donnait-il ce genre de conseil alors qu’elle venait de lui dire qu’elle était médecin ? Mais sans doute ne l’avait-il pas prise au sérieux. Il appartenait peut-ętre ŕ ce genre d’hommes qui pensent qu’une femme n’est pas capable de suivre jusqu’au bout des études de médecine…
Tandis qu’il ralentissait dans la cour de la ferme, une demi-douzaine de chiens les accueillit en hurlant. John Cameron sortit aussitôt ŕ la rencontre de Kate, ignorant dans sa hâte l’étranger qui se trouvait avec elle.
— Mon Dieu, docteur Harris, vous voici enfin ! Tracy va de plus en plus mal ! Elle est toute bleue !
Kate s’engouffra dans la maison avec John, suivie de son compagnon de fortune, auquel elle n’osa pas signifier qu’il ferait mieux de l’attendre dehors.
La petite Tracy souffrait bel et bien de laryngite diphtérique, et sa respiration était devenue trčs difficile. Sa toux s’était transformée en une sorte de profond râle dű ŕ ses misérables efforts pour faire passer un peu d’air dans sa gorge bloquée.
Mme Cameron était assise sur le lit de sa fillette, dont elle pressait les mains entre les siennes d’un air désespéré. Elle leva vers Kate un regard implorant.
— Que faut-il faire, docteur ?
— Je vous avais demandé de la maintenir dans une atmosphčre chaude et humide ! Vous n’avez pas fait bouillir de l’eau comme je vous l’avais conseillé ?
— Si, mais…
— Remplissez tout de suite une grande casserole !
Kate avait saisi dans ses bras la petite fille, qu’elle conduisit trčs vite dans la cuisine.
— Vous avez bien une Cocotte-Minute ?
John se précipita pour exécuter ses ordres.
— Mettez la bouilloire sur le poęle ! Faites couler l’eau chaude du robinet ! Il faut le plus possible de vapeur dans la pičce !
Kate avait complčtement oublié ses brűlures, de męme que la présence de l’étranger. Elle se tourna vers la jeune mčre qui la suivait d’un air désemparé.
— Donnez-moi de grandes serviettes ! Tout de suite, s’il vous plaît ! Ce n’est pas le moment de pleurer ! Oů ai-je mis ma sacoche ?
L’inconnu s’était approché. Il la lui tendit.
— Vous avez un nébulisateur ?
Elle leva vers lui des yeux étonnés.
— Oui, c’est exactement ce que je cherche.
Il ouvrit la sacoche et lui tendit le masque, qu’elle appliqua aussitôt sur le visage de l’enfant aprčs avoir rempli le réservoir d’eau bouillante. Puis elle tendit de nouveau la main vers la mallette. Mais l’étranger avait devancé son geste.
— Voici l’adrénaline, dit-il en lui donnant l’ampoule toute pręte.
Kate fut si surprise qu’elle ne fit aucun commentaire. Elle se hâta de pratiquer l’injection sur le bras de la fillette. Qui était donc cet homme ? Tout d’abord, elle l’avait pris pour l’un des propriétaires terriens du district voisin. Sa silhouette athlétique, son visage bronzé et son pantalon de velours évoquaient bien le style des riches fermiers de l’autre vallée. Mais ŕ présent… De toute maničre, l’heure n’était pas ŕ la curiosité.
— Elle respire un peu mieux, mais on ne peut pas utiliser trop longtemps le nébulisateur. Il faut absolument la placer sous atmosphčre humide.
— Je vais faire une tente avec les serviettes. Nous y placerons les récipients pleins de vapeur.
L’étranger avait prononcé ces mots avec tant de naturel qu’elle en resta interdite. Comment avait-il deviné ses intentions ? Mais, une fois de plus, elle remit les questions ŕ plus tard. La petite Tracy s’était mise ŕ pleurer doucement, ce qui était plutôt bon signe. Au bout de quelques minutes, grâce aux effets de la vapeur chaude, elle se remit ŕ respirer presque normalement.
Kate poussa un profond soupir de soulagement et se tourna vers la jeune mčre encore toute tremblante.
— Tout va bien maintenant, madame Cameron. Il faut laisser Tracy se reposer, mais en continuant ŕ produire beaucoup de vapeur dans la pičce.
Brusquement, l’enfant fut secouée par une violente quinte de toux. L’angoisse envahit de nouveau ses grands yeux clairs, qui semblaient supplier Kate de lui venir en aide. Il fallait avant tout la rassurer. Kate la prit dans ses bras et lui chuchota quelques mots de réconfort. La mčre semblait encore trop nerveuse pour qu’elle lui confie la petite.
Kate eut alors la surprise d’entendre son étrange compagnon se charger de la calmer avec une grande douceur.
Quelle que soit l’identité de l’homme, il fallait reconnaître qu’il savait s’adapter ŕ toutes les situations ! Elle tourna la tęte vers lui un instant et rencontra son regard. Il lui adressa un sourire complice, ŕ la fois si amical et si confiant qu’elle en rougit malgré elle. Un peu gęnée, elle lui sourit furtivement ŕ son tour.
Puis elle se pencha de nouveau sur sa petite patiente, dont elle vérifia une fois de plus le pouls. Le rythme cardiaque de l’enfant était redevenu normal. Elle avait gagné !
La petite Tracy toussait encore un peu de temps ŕ autre, mais les quintes s’espaçaient. Epuisée, elle finit par s’endormir dans les bras de Kate, le souffle court mais régulier. Plusieurs casseroles d’eau continuaient ŕ bouillir sur la cuisiničre et la pičce était envahie d’un épais brouillard.
Il sembla ŕ Kate que l’étranger avait disparu, mais peut-ętre s’était-il seulement éloigné de quelques mčtres ? Elle fit signe ŕ John Cameron d’approcher.
— Vous allez transporter ici le petit lit de Tracy. Et il faut maintenir ce degré d’humidité jusqu’au matin.
— Vous ne l’emmenez pas ŕ l’hôpital ?
— Non, le trajet risquerait de provoquer de nouveaux signes d’étouffement.
Une fois de plus, Kate déplorait que le seul hôpital de la région se trouvât ŕ plus de deux heures de route. Il aurait certes mieux valu placer l’enfant en milieu hospitalier. Mais il était hors de question de prendre le risque de la transporter dans son état.
...