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La Brűlure du désirde Janice KAISERCollection Chapitre 1 : page 1
Installé ŕ une petite table prčs de la fenętre, il dîna seul tout en regardant tomber la pluie. La circulation était dense en cette fin d’aprčs-midi et des piétons se pressaient sur le trottoir, s’abritant tant bien que mal sous leur parapluie.
Il se sentait toujours mélancolique dans une ville inconnue. Bien que depuis six mois il fűt sans cesse en déplacement, il ne parvenait pas ŕ s’habituer au dépaysement. Il lui arrivait fréquemment d’oublier oů il se trouvait. Ce qu’il ne pouvait oublier en revanche, c’était qui il était. Car chaque soir, un journaliste invitait le célčbre historien Robert Williams ŕ participer ŕ une émission culturelle. Robert en était arrivé au point oů il avait répété tant et tant de fois les męmes anecdotes qu’il n’y croyait plus lui-męme.
Grâce au ciel, il arrivait au bout de sa tournée : il ne lui restait plus que Portland et Seattle ŕ visiter. Mais le prochain enregistrement n’aurait lieu que dans trois jours, et en attendant il se demandait comment tuer le temps. Que faire ? Retourner se reposer chez lui, ŕ Santa Fe ? C’était un long voyage et il n’était pas certain que le jeu en vaille la chandelle. Le climat n’y était pas plus clément qu’ŕ San Francisco, et en cette saison tout le pays était sous la neige.
Robert finit son café, régla l’addition et sortit. Mais sur le pas de la porte, il constata avec surprise que la pluie avait redoublé de violence.
Remontant le col de son imperméable, il se dirigea d’un pas vif vers son hôtel. Au bout de cinquante mčtres cependant, il dut se rendre ŕ l’évidence : impossible de continuer sous cette pluie diluvienne ! Il se mit donc ŕ l’abri sous l’auvent d’un magasin et écouta un moment le vrombissement assourdissant de la circulation se męlant au lourd battement des gouttes qui tombaient dru. Décidément, il ferait mieux de rentrer chez lui, songea-t-il déprimé. La neige serait un changement agréable !
Désśuvré, il regarda autour de lui. La rue était grise et triste. Mais dans une vitrine, juste derričre lui, s’étalaient de larges affiches publicitaires pour des croisičres sous les tropiques. L’une des photos attira son attention. On y voyait une jolie blonde en sarong rose vif, sur une plage de sable doré. Le mot Hawaii se détachait en lettres d’or sur un fond de ciel turquoise.
Un souvenir tendre et douloureux lui serra le cśur. Le jour de leur arrivée ŕ Maui, son épouse avait revętu pour dîner un sarong rose orné d’une orchidée blanche...
Robert soupira. Leur voyage de noces avait été un enchantement. Il avait gardé le souvenir de journées chaudes et ensoleillées, de nuits romantiques. Rien ŕ voir avec cette soirée froide et pluvieuse ŕ San Francisco ! Il aurait donné n’importe quoi pour ętre de nouveau transporté dans ce site merveilleux.
Plongé dans ses pensées, il approcha de la vitrine pour mieux observer les affiches alléchantes. A l’intérieur de la boutique, il aperçut alors une femme entre deux âges assise derričre un bureau, le téléphone ŕ la main. Sur une impulsion subite, il entra. La femme se contenta de lui adresser un petit sourire impersonnel, et continua sa conversation téléphonique.
Robert en profita pour examiner une pile de brochures. Comme par hasard, l’une d’elles vantait les mérites du Récif de Corail, ŕ Maui. L’hôtel oů il était descendu avec Laura ! Tremblant d’émotion il observa la photo, reconnut la plage de sable blanc oů, main dans la main, Laura et lui avaient contemplé le coucher du soleil chaque soir aprčs dîner.
— Que puis-je pour vous, monsieur ?
Robert tressaillit et se retourna. L’employée de l’agence repoussa une mčche poivre et sel sur son front. Elle paraissait fatiguée, et jouait distraitement avec la branche de ses lunettes.
— J’ai vu l’affiche dans la vitrine, et je suis entré.
— Hawaii... c’est une destination tentante. Surtout par une journée comme celle-ci ! Nous avons plusieurs types de séjours possibles. Vous aviez une idée particuličre ?
Robert tapota la brochure qu’il tenait ŕ la main.
— Je regardais cette publicité pour le Récif de Corail.
— Merveilleux hôtel. Un site grandiose avec parcours de golf, club de plongée, stages de voile et...
— Je connais, j’y ai déjŕ séjourné.
— Ah...
La femme sourit avec lassitude et jeta un coup d’śil ŕ la pendule.
— Pourriez-vous me réserver une chambre lŕ-bas pour deux ou trois nuits ?
Le visage de la femme s’éclaira et elle hocha la tęte d’un air approbateur.
— Quand aimeriez-vous partir ?
— Demain matin.
L’employée eut un petit rire désabusé.
— Nous sommes en pleine saison ! Je ne crois pas que...
— Essayez tout de męme.
— Nous allons bien voir. Asseyez-vous, je vous prie.
Robert obéit. Tandis que l’employée de l’agence se mettait ŕ discuter au téléphone, il feuilleta pensivement la brochure de papier glacé. Pourquoi avait-il fait cela ? Lui-męme n’aurait su expliquer son geste. Ce n’était pas son style, d’agir sur un coup de tęte !
Plusieurs minutes s’écoulčrent, puis la femme s’exclama :
— C’est un vrai miracle ! J’ai réussi ŕ obtenir un bungalow sur la plage. Un client qui s’est désisté au dernier moment.
— Parfait. Maintenant, il me faut des billets d’avion.
Elle leva les yeux au ciel, tapota de nouveau sur le clavier du téléphone, s’adressant ŕ de mystérieux interlocuteurs. Cinq minutes plus tard, tout était réglé. Robert avait un billet aller-retour et une réservation pour trois nuits ŕ Maui. Il tendit sa carte de crédit.
— Avec la chance que vous avez je devrais plutôt vous envoyer ŕ Las Vegas, marmonna l’employée.
— En fait, je me demande ce qui m’a pris...
— Ne cherchez pas. Avec un temps pareil, rien d’étonnant ŕ ce que Hawaii vous fasse ręver !
Elle régla rapidement les derničres formalités du voyage et Robert la remercia. Au moment oů il enfilait son imperméable et s’apprętait ŕ partir, elle le considéra soudain d’un air curieux.
— Excusez-moi, monsieur Williams, mais... j’ai l’impression de vous avoir déjŕ vu quelque part. Et votre nom m’est vaguement familier. Vous ne seriez pas animateur ŕ la télévision, par hasard ?
Robert sourit.
— En quelque sorte, oui. J’ai travaillé pour PBS il y a quelques mois. Je présentais une émission historique sur la Conquęte de l’Ouest.
— C’est ça ! s’exclama la femme en claquant des doigts. Ma sśur adorait cette série ! Pendant des semaines, elle ne m’a parlé que de ça. Quand je lui dirai que je vous ai rencontré...
— Oui, j’avoue que j’ai eu un certain succčs, admit Robert avec modestie.
— Je suis un peu embarrassée de vous demander ça, mais... pourriez-vous me signer un autographe ? C’est pour ma sśur. Elle a toujours été dingue de westerns ! Elle a les autographes de Henri Fonda et de John Wayne.
Robert prit le stylo qu’elle lui tendait.
— Je suis historien, pas acteur, dit-il en apposant sa signature sur une feuille.
— Judy a acheté votre dernier livre, précisa la femme. Elle mettra votre autographe ŕ l’intérieur.
Robert la remercia encore une fois pour son efficacité, et prit congé. La pluie s’était un peu calmée. Il contempla une derničre fois la photo de la jolie blonde dans la vitrine de l’agence, et se dit qu’il était fou de s’ętre laissé aller ŕ une telle vague de nostalgie. Mais il avait trois longues journées de désśuvrement devant lui... alors, pourquoi ne pas les passer ŕ Hawaii ? Quand les souvenirs de Laura l’assailleraient... eh bien, il s’efforcerait de ne retenir que les moments heureux qu’ils avaient vécus ensemble. Et Dieu sait qu’ils avaient été nombreux !
Hawaii avait été pour lui le paradis sur terre. Il y avait peu de chance pour qu’il recouvre le bonheur au męme endroit. Mais au moins, il passerait trois jours au soleil. Ce qui était toujours appréciable.
—
Christina Cavanaugh consulta sa montre et soupira lourdement. Ils allaient rater l’avion, c’était sűr. Une fois de plus, Bill était venu la chercher en retard. Il ne changerait jamais : il faisait toujours trop de choses en un laps de temps trop court. Il n’y pouvait rien, c’était sa nature. Mais aujourd’hui... il aurait pu éviter de passer au bureau ŕ la derničre minute. Aprčs tout, ils étaient censés partir en voyage de noces !
Mais Christina s’abstint de faire la moindre remarque. A quoi bon se quereller ? Cela n’arrangerait rien.
Pour comble de malchance, il pleuvait ŕ torrent. Un bon gros orage, comme on n’en voyait qu’ŕ Seattle. La circulation était complčtement bloquée, naturellement. L’avion devait décoller dans vingt minutes... et ils n’avaient pas encore atteint le parking !
— Nous n’y arriverons pas, gémit-elle. Il vaut mieux abandonner.
— Pas question. Je laisserai la voiture devant l’entrée, cela nous fera gagner quelques minutes.
— Mais, Bill, la police la mettra ŕ la fourričre ! Cela te coűtera une fortune.
— Ma chérie, ce voyage est programmé depuis des mois et nous partirons, je te le promets.
Bill arręta la puissante Mercedes devant le terminal et ils sortirent en hâte de la voiture. Tandis qu’il s’occupait des bagages, Christina se précipita au guichet d’enregistrement. Il y avait une longue file devant le comptoir. Mortifiée, la jeune femme demanda aux autres voyageurs de la laisser passer. Ce n’était pas dans ses habitudes, mais elle n’avait pas le choix !
Elle venait ŕ peine de terminer les formalités, lorsque Bill surgit dans le hall avec un porteur. Ils se mirent ŕ courir vers la porte d’embarquement.
Bill s’essouffla rapidement. Il ne faisait pas souvent d’exercice, et Christina lui avait maintes fois reproché de ne pas entretenir sa forme physique. A mi-chemin il dut s’arręter, pantelant.
— Je te... dirais bien de continuer sans... moi..., bredouilla-t-il, hors d’haleine. Mais... ce serait un... drôle de voyage de... noces !
— Tu l’aurais pourtant bien mérité ! ne put-elle s’empęcher de rétorquer. Partir en voyage de noces avant le mariage ! C’est l’idée la plus saugrenue que tu aies jamais eue. Je me demande encore comment j’ai pu me laisser convaincre.
— Je trouvais idiot de tout annuler... Les réservations étaient faites depuis des mois !
— Oui. C’est une façon de voir les choses, dit-elle sčchement.
— Viens, mon cśur. Nous allons l’attraper quand męme, cet avion !
Il lui prit la main et ils se remirent ŕ courir. Ils passčrent la porte de justesse, alors que l’hôtesse s’apprętait ŕ fermer. Bill paraissait sur le point de s’évanouir. Avec son mčtre quatre-vingt-dix, il n’était certes pas gros... simplement un peu enveloppé. Il n’attachait aucune importance ŕ son apparence, ce qui ennuyait passablement Christina, car elle était convaincue qu’une alimentation légčre et un peu d’exercice étaient la clé d’une bonne santé, comme d’une silhouette jeune.
Christina, elle, avait toujours été d’une beauté ŕ couper le souffle. Dčs l’âge de quatorze ans, alors qu’elle poursuivait des études brillantes, elle avait commencé ŕ poser comme mannequin dans les magazines.
— Cependant, bien qu’elle eűt pu faire fortune dans ce métier, celui-ci ne l’avait pas passionnée. L’argent qu’elle gagnait en se faisant photographier l’avait aidée ŕ payer ses études supérieures. Car ce dont elle ręvait, c’était de passer de l’autre côté de la caméra, de devenir réalisatrice et d’écrire des scénarios. A peine sortie de l’université, elle avait trouvé un emploi ŕ Seattle chez PBS, la chaîne télévisée culturelle. Elle y travaillait maintenant depuis huit ans, et composait notamment des programmes destinés aux enfants.
De temps ŕ autre, les photographes qu’elle avait connus autrefois lui téléphonaient pour lui demander si elle était disponible. Mais elle repoussait invariablement leurs propositions de contrats mirobolants.
Christina continua de courir le long de la passerelle, suivie par un Bill pantelant. L’hôtesse les accueillit dans la cabine de premičre classe et leur indiqua leurs sičges.
Bill se laissa tomber lourdement dans son fauteuil. Il respirait bruyamment et son front était baigné de sueur. Christina s’installa ŕ côté de lui et boucla sa ceinture.
— Nous l’avons eu ! Mais c’était ŕ quinze secondes prčs, ajouta-t-il, penaud.
Christina soupira.
— Je suppose que je devrais t’accepter tel que tu es. Tu ne changeras jamais.
— Ma chérie, suis-je jamais arrivé en retard quand c’était vraiment important ?
— Je te rappelle que nous aurions dű nous marier hier. Et cela me paraît un événement assez important pour...
— Je sais, mon cśur. Mais je t’ai avertie il y a déjŕ deux semaines que le mariage ne pourrait pas avoir lieu. Et de toute façon ce n’était pas ma faute.
Christina rejeta une longue boucle auburn en arričre.
— Oui, je sais. Tu es encore marié. Et je comprends que tu ne veuilles pas aller en prison pour bigamie.
— C’est une question de procédure, une complication de derničre minute. J’étais persuadé que tout serait réglé rapidement. D’ailleurs, Kelly est aussi pressée que moi de se remarier, ce n’est pas elle qui a mis des bâtons dans les roues !
— Je comprends, Bill.
— Nous nous marierons au printemps. Au mois de mai.
— Oui, Bill. Je ne te fais aucun reproche. Seulement... je trouve bizarre de partir en lune de miel alors que nous ne sommes pas mariés. C’est un peu... embarrassant.
Bill lui caressa doucement la joue.
— Essaie d’envisager cela comme une simple escapade en amoureux.
— Oui... c’est ce que je ne cesse de me répéter.
— Alors, oů est le problčme ?
— Les femmes sont sans doute moins flexibles que les hommes. Pendant des mois j’ai cru que je me marierais ce week-end et que je partirais en voyage de noces ŕ Maui. Tu me trouves peut-ętre trop sentimentale mais... nous devrions déjŕ ętre mari et femme, unis pour la vie.
— Chris, mon cśur, tu sais que je t’aime, murmura Bill en lui embrassant la joue. C’est l’essentiel...
Christina hocha la tęte. Elle se sentait un peu coupable tout ŕ coup. Elle se comportait comme une enfant gâtée.
— Ne t’inquičte pas, Bill. Je te promets que notre séjour ŕ Hawaii sera merveilleux, inoubliable, dit-elle avec douceur.
— J’en suis persuadé.
Sur ces mots, il se renversa dans son fauteuil et ferma les yeux, soulagé et confiant. Mais Christina n’était pas aussi rassurée que lui. Quelque chose lui disait que leur soi-disant lune de miel ne serait pas aussi idyllique qu’ils le croyaient...
Robert Williams fit quelques pas sur la plage. Maui était superbe dans la lumičre rougeoyante du soleil couchant. L’air lourd et humide des tropiques, le paysage marin, tout évoquait pour lui le souvenir de Laura. Dix ans auparavant, pendant leur lune de miel, ils avaient marché main dans la main sur cette plage. Ils étaient follement amoureux et heureux.
Ils étaient revenus dans les îles aprčs leur mariage, juste aprčs que Laura s’était aperçue qu’elle était enceinte. Robert en avait profité pour mener des recherches ŕ l’université d’Honolulu, mais Laura, souffrante, était restée alitée pendant presque tout le séjour. Deux mois plus tard, elle décédait...
Le Récif de Corail avait été redécoré, mais dans l’ensemble il n’avait pas beaucoup changé. Robert avait décidé de ne pas résister ŕ la vague de tristesse qui s’était irrésistiblement emparée de lui ŕ son arrivée dans l’île. Au fil des années, il avait appris qu’il valait mieux regarder les problčmes en face et affronter la douleur. Essayer de l’éviter ne menait ŕ rien, elle ne faisait que resurgir par surprise, sourde, pesante, intolérable. Aussi avait-il passé l’aprčs-midi ŕ revisiter tous les endroits oů il s’était rendu avec Laura. Il espérait que cela lui libérerait l’esprit et l’aiderait ensuite ŕ mieux profiter de son séjour.
L’idée de rencontrer une femme l’avait męme effleuré. Prendre un verre ensemble, faire un brin de conversation... pourquoi pas ? Le problčme, c’était que le Récif de Corail attirait plutôt des couples.
A la tombée de la nuit, il regagna son bungalow pour prendre une douche. En arrivant ŕ l’hôtel, il avait acheté quelques vętements adaptés au climat : un pantalon de lin blanc, des shorts, un maillot de bain et quelques chemises fleuries. L’une d’elles était verte, une couleur qu’il appréciait car elle s’accordait bien ŕ ses cheveux blonds et ŕ ses yeux verts.
Vętu du pantalon blanc et de cette chemise, il se dirigea vers le bar de l’hôtel...
Il faisait nuit lorsqu’ils garčrent enfin leur voiture de location devant le Récif de Corail.
Christina était certaine que les dieux avaient décidé de les punir. Pourquoi ? Quel péché avaient-ils commis ? Elle n’aurait su le dire. Peut-ętre voulaient-ils simplement lui faire comprendre qu’elle était destinée ŕ rester célibataire ! Quoi qu’il en soit, le sort s’était acharné sur eux pendant tout le voyage.
— Quelle journée infernale ! marmonna-t-elle en ouvrant la portičre.
Bill soupira. Il ne pouvait gučre la contredire.
— Nous sommes arrivés, finalement. Tu vas voir, ŕ partir de maintenant tout ira bien.
— Tu crois ? Combien veux-tu parier qu’ils ont égaré notre réservation ? Ou bien qu’ils ont attribué la chambre ŕ quelqu’un d’autre ?
— Impossible ! répliqua Bill avec assurance. J’ai envoyé un fax pour confirmer.
Ils échangčrent un regard las. Christina prit la main de son fiancé et la serra dans la sienne.
— Quelque chose me dit que les ennuis ne font que commencer.
Bill éclata de rire. Quels que soient les événements, il les considérait toujours avec optimisme. Se laisser miner par un petit désagrément ? Ce n’était pas dans sa nature !
— Récapitulons ! dit-il avec bonne humeur. Tout d’abord, nous perdons trois heures ŕ cause d’une avarie de moteur. L’avion est obligé de retourner ŕ Seattle et par conséquent, nous ratons notre correspondance. Ensuite, la compagnie aérienne égare nos bagages. Pour couronner le tout, la premičre voiture de location refuse de démarrer. La deuxičme tombe en panne d’essence au bout de trois kilomčtres. Mais reconnais que la troisičme est parfaite. Si tu veux mon avis, nous avons épuisé notre lot de malchance. Je ne vois pas ce qui pourrait aller mal maintenant.
— Eh bien je te parie dix dollars que nous n’aurons pas notre chambre et que nous serons obligés de trouver un autre arrangement pour dormir.
Bill secoua fermement la tęte.
— Ah, non. Si notre chambre n’est pas disponible, je te promets que j’aurai racheté cet hôtel avant l’aube ! Foi de William Roberts !
— Mon pauvre Bill... je consentirai ŕ te croire quand j’aurai récupéré mes valises.
— Nos bagages sont partis aux Philippines, mon chou. Ce n’est pas le bout du monde, je te promets que nous les aurons dčs demain.
Christina poussa un nouveau soupir. La ténacité et l’optimisme de Bill méritaient l’admiration. En découvrant qu’elle n’avait plus rien ŕ se mettre, elle avait décidé de retourner illico ŕ Seattle. Mais Bill avait eu un point de vue différent : c’était une excellente occasion de renouveler sa garde-robe, tout simplement !
— Dans la vie, il faut toujours voir le bon côté des choses, avait-il décrété avec un haussement d’épaules.
Deux employés de l’hôtel vętus de chemises chamarrées s’avancčrent vers la voiture.
— Aloha ! Oů sont vos bagages ?
— Quelque part entre Manille et Honolulu, répondit Bill. Nous allons faire un saut ŕ la boutique de l’hôtel pour nous équiper un peu.
Christina descendit. Par chance, elle avait gardé avec elle le vanity-case qui contenait toutes ses affaires de toilette et un peu de lingerie. Mais elle devrait s’acheter un ou deux vętements en attendant que ses valises arrivent... en admettant qu’elles ne soient pas définitivement égarées !
Elle s’assit dans un profond fauteuil de rotin garni de coussins soyeux, tandis que Bill se dirigeait vers la réception. Le Récif de Corail était un établissement magnifique. De hautes plantes tropicales s’élevaient dans le splendide patio ŕ ciel ouvert. Les étoiles brillaient de tous leurs feux dans un ciel d’un bleu profond. Quel décor de ręve !
— Christina ne cessait de se répéter qu’elle aurait dű se sentir parfaitement heureuse. Aprčs tout, elle était en voyage de noces, et Bill était follement amoureux d’elle. C’était d’ailleurs la raison pour laquelle elle avait accepté de l’épouser. Bill était un homme actif, entreprenant, charitable, doté d’une intelligence aiguisée et d’un charme ensorcelant. La chaîne de salons de thé qu’il avait créée connaissait un succčs phénoménal. Tout lui réussissait. Dčs leur premičre rencontre, il avait déclaré ŕ Christina qu’il l’aimait et voulait l’épouser. Le seul petit ennui, c’était qu’il était déjŕ marié...
Tout d’abord, Christina avait été effarée par cette situation. Puis elle avait appris que Bill était déjŕ séparé de sa femme depuis deux ans et que le seul obstacle ŕ leur divorce était un problčme financier difficile ŕ régler. Elle aimait bien Bill. Il était attentionné, dévoué... Mais elle se demandait parfois si ces sentiments étaient suffisants pour s’engager sur la voie du mariage.
Tout ŕ coup, elle se rendit compte qu’ŕ la réception les formalités prenaient un peu plus de temps que nécessaire. Elle se leva et alla faire quelques pas sur la terrasse qui longeait le Pacifique. Il faisait totalement nuit ŕ présent, et des torches multicolores éclairaient les abords de l’hôtel.
L’air était doux et il flottait autour d’elle un léger parfum de gingembre et d’épices exotiques. Des couples se promenaient main dans la main, et une douce musique hawaiienne se męlait au bruit du ressac sur la plage. Décidément, Maui était le lieu idéal pour une lune de miel.
Christina remarqua un couple un peu plus âgé sur l’un des bancs de teck de la terrasse. La femme ressemblait ŕ sa mčre, disparue deux ans auparavant. Quand Chris avait rencontré Bill quelque temps aprčs, elle avait ressenti encore plus douloureusement l’absence de sa mčre. Elle n’avait plus personne ŕ qui se confier, plus personne pour la guider dans les choix importants de la vie.
Un an aprčs la mort de Marlys, son pčre avait rencontré une veuve au cours d’une croisičre. Il s’était remarié et vivait ŕ présent en Floride. Chris lui téléphonait une fois par mois, mais elle ne pouvait discuter avec lui aussi librement qu’elle le faisait avec sa mčre. Lorsqu’elle lui avait fait part de sa décision d’épouser Bill, il l’avait encouragée.
« Ton Bill m’a l’air d’ętre un type bien, et il est temps que tu te cases ! » avait-il déclaré de son ton un peu bourru.
Certes, ŕ vingt-neuf ans, elle n’était plus une jeune fille romantique. Elle était dotée d’une sérieuse dose de bon sens et savait se montrer réaliste. Jusqu’ici, elle avait vécu deux relations assez intenses. Chaque fois, elle avait été tentée de se marier, mais quelque chose l’avait retenue. Elle n’aurait su dire quoi... Plus tard, elle s’était demandé si elle ne se faisait pas du mariage une idée trop idéalisée.
Quand elle avait rencontré Bill, elle s’était plus souciée de ses qualités d’homme que de la passion qu’il était susceptible d’éveiller chez elle. Elle l’aimait beaucoup... et il était fou d’elle.
Elle contemplaît ręveusement le rivage, lorsque Bill s’approcha et l’enlaça tendrement. Tout en lui embrassant la nuque, il lui tendit un billet de dix dollars.
— Tu as gagné ton pari.
— Oh, non ! Tu veux rire ?
— Pas du tout, répondit-il, penaud. Notre chambre n’est pas disponible. Le bungalow a été inondé et le plombier est en train de réparer. Mais ils ne savent pas combien de temps cela prendra.
— Oh, Bill... qu’allons-nous faire ?
Bill lui tapota gentiment le bout du nez.
— L’amour triomphe de tous les obstacles, mon cśur.
— Oui, mais de lŕ ŕ dormir sur la plage...
— La direction nous a fait préparer une petite chambre de secours, juste au-dessus de la chaudičre. Nous pourrons nous y changer et prendre une douche. J’espčre que le bungalow sera disponible dans un moment. Je tiens ŕ ce que tu t’endormes en écoutant le bruit des vagues sur la plage.
— Mon pauvre Bill... Tu t’es débattu toute la journée !
— Peu importe. En attendant, allons dîner.
Il la serra dans ses bras et l’embrassa doucement. Mais Christina se sentit envahie de tristesse. Malgré l’optimisme effréné de Bill, elle ne pouvait s’empęcher de considérer toutes ces contrariétés comme autant de mauvais présages. Leur mariage était-il destiné ŕ durer ? Seraient-ils vraiment heureux ensemble ?
— Avant de se rendre au bar, Robert s’était attardé dans le jardin. Il était assis sur un banc quand elle apparut soudain sur la terrasse. Adossée ŕ un pilier de marbre, elle contempla un moment la plage. Elle était si belle qu’il en eut le souffle coupé.
Fasciné, il observa son visage fin et sa silhouette gracile qui se détachait en contre-jour dans la lumičre de l’hôtel.
Si elle avait porté une robe au lieu de son pantalon et de son corsage décolleté, il aurait pu la prendre pour une apparition. Mais cette femmme était bien réelle... incroyablement élégante et follement sexy !
Tout en elle l’attirait irrésistiblement. La façon dont elle repoussait ses cheveux auburn sur ses épaules, penchait la tęte sur le côté pour observer le ciel. Cette merveilleuse inconnue était-elle une envoyée des dieux ?
Il était si captivé qu’il aurait pu la contempler ainsi toute la nuit. Mais soudain, un homme surgit et lui enserra la taille. Ils s’embrassčrent et s’éloignčrent dans le hall. En proie ŕ une impression de vide immense, Robert demeura seul.
— Peut-ętre eűt-il mieux valu qu’il ne la voie pas, qu’il ne soupçonne pas son existence. Du moins cette brčve apparition lui avait-elle appris une chose sur lui-męme : ce qu’il recherchait, c’était bien plus qu’une simple aventure. Il voulait recouvrer le bonheur... gagner l’amour d’une femme comme la déesse qu’il venait d’apercevoir.
C’était ridicule, se dit-il soudain. Il ne la connaissait pas, et sa beauté cachait peut-ętre une âme égoďste ou stupide. Une chose était certaine, cependant. Il pouvait encore aimer, ressentir de la passion. Avec un soupir, il se leva et gagna le bar. Quand rencontrerait-il une autre créature capable de l’enflammer au premier coup d’śil ? Aprčs tout, ce genre de chose ne se produisait pas tous les jours. Cela arrivait deux ou trois fois dans la vie d’un homme.
A trente-sept ans, Robert se demandait s’il aurait la chance de rencontrer l’amour parfait qu’il cherchait si désespérément. Le temps passait, et ses chances se rétrécissaient...
Quelles pensées sinistres ! songea-t-il soudain. Rien de tel qu’une bonne vodka pour faire passer cette tendance ŕ la mélancolie. Sans compter que c’était dans un bar qu’on avait le plus de chance de tomber sur une femme... une femme normale, appartenant au royaume des mortels. Mais il doutait męme de pouvoir rencontrer l’une d’elles. Avec la chance qui le caractérisait, il passerait la soirée seul. Et son unique vision du bonheur serait cette apparition magique, cette femme mystérieuse ŕ la chevelure brune et au visage envoűtant.
Robert n’avait pas quitté le bar. D’ordinaire, il buvait trčs peu. Un verre de vin au dîner, c’était tout ce qu’il s’autorisait en temps normal. Et de fait, il n’avait męme pas fini sa deuxičme vodka. Mais il demeurait lŕ, comme enchaîné au bar, ses pensées tournant obstinément autour de Christina.
La plupart des autres clients étaient partis dîner et quelques-uns revenaient déjŕ prendre un dernier verre avant de regagner leur chambre. Robert n’avait pas faim.
Alors qu’il se demandait comment passer le reste de la soirée, il aperçut une femme assise en face de lui. C’était une jolie blonde, qui se tenait exactement ŕ l’endroit oů Christina s’était assise un moment auparavant. Sa robe blanche profondément décolletée révélait une poitrine ronde, ferme et généreuse. Elle le regardait en souriant.
Robert lui rendit son sourire d’un air absent. L’inconnue ne détacha pas les yeux de lui. De toute évidence, elle cherchait ŕ engager la conversation. Jś avait disparu et ils étaient seuls dans l’air tičde et parfumé de la nuit tropicale.
— C’est plutôt calme ici, vous ne trouvez pas ? lança-t-elle d’une voix haut perchée.
— Oui. Tout le monde est parti.
La jeune femme avala quelques gorgées de cocktail et s’enquit :
— Vous ętes tout seul ?
— J’ai bien un chien qui m’accompagne, mais il est invisible.
Elle rit de sa plaisanterie et ajouta, encouragée :
— Je sais que ça ne se fait pas, mais... vous voulez bien m’offrir un verre ?
Robert haussa les épaules avec bonne humeur.
— Volontiers, mais ne restez pas aussi loin.
Elle se leva et contourna le bar. Elle devait avoir une trentaine d’années, constata Robert en la dévisageant.
— Je m’appelle Patsy. Patsy Clark.
— Et moi, Robert Williams.
— Oh, vous ętes le fameux historien qui fait des émissions sur le western ?
— Auriez-vous vu la série que j’ai réalisée pour PBS ?
— Mais oui ! Je suis enchantée de faire votre connaissance ! s’exclama-t-elle en lui tendant la main.
— Je suis flatté. On ne me reconnaît pas si souvent. Vous vous intéressez ŕ l’histoire de l’Ouest ?
— Pour ętre honnęte, tout ce que je sais sur les cow-boys c’est ce que j’ai vu dans les films de Clint Eastwood et de Kevin Costner. Mais mon neveu Jason a passé deux semaines chez moi, et il était obligé de regarder vos émissions ŕ cause d’un exposé qu’il devait faire pour l’école. En général, je ne regarde pas beaucoup PBS, mais votre série était rudement intéressante !
— Content que ça vous ait plu.
A ce moment, Jś reparut. Voyant Robert en bonne compagnie, il lui adressa un clin d’śil complice.
— Une autre vodka ? s’enquit-il.
— D’accord. Et un cocktail pour mademoiselle.
Jś s’empressa d’aller préparer les boissons, tandis que Robert et Patsy continuaient de bavarder.
Tout en regardant la jeune femme siroter son cocktail, Robert se demanda que faire. Saisir l’opportunité d’une nouvelle rencontre ? La laisser passer ? Mais avant tout, il fallait savoir ce que cette ravissante blonde avait en tęte.
— Vous séjournez ŕ l’hôtel ? demanda-t-il avec nonchalance.
— Oui, avec mon amie Lana. Nous sommes coiffeuses ŕ Santa Monica et chaque hiver nous nous payons un petit voyage ŕ Hawaii. Mais cet hôtel est un peu tristounet, vous ne croyez pas ?
— Ce n’est pas l’endroit idéal pour des célibataires.
— Non. Au fait, Robert, vous ętes marié ?
— Je suis veuf.
— Oh, désolée...
Il y eut quelques secondes de silence, puis Patsy lui lança un regard en coin.
— Et... vous n’avez pas de fiancée, ou de petite amie ?
— Non, je suis seul.
— Je préfčre toujours me renseigner, déclara Patsy en hochant la tęte. Il vaut mieux ętre clair dčs le début, non ?
Jś leur apporta leur nouvelle commande, et ils trinqučrent.
— A Clint et ŕ Kevin ! dit Robert.
— Je dirais plutôt ŕ nous ! corrigea Patsy avec un sourire mutin.
— Et vous, avez-vous un petit ami ? demanda-t-il.
— Oh, rien de sérieux...
A ce point de la conversation, il aurait pu l’inviter ŕ dîner. Mais il hésita, ne parvint pas ŕ se décider. Pourtant la jeune femme était jolie, visiblement délurée, et l’occasion tentante. Peut-ętre vieillissait-il aprčs tout, se dit-il avec philosophie.
— Hier soir nous avons rencontré deux gars ŕ Lahaina, reprit-elle. Lana s’est amourachée de l’un d’eux et ils doivent passer nous chercher pour dîner dans un moment.
— Je vois, dit-il sobrement.
— Je vous explique tout ça, parce que je vais sans doute devoir vous quitter d’une seconde ŕ l’autre. Je ne voudrais pas que vous me preniez pour une allumeuse... En fait... je préférerais dîner avec vous, mais j’ai promis ŕ Lana de l’accompagner.
— Vous me flattez, murmura Robert avec un demi-sourire.
— Vous me plaisez, vous savez.
— Vous aussi.
La jeune femme se mordit la lčvre, réfléchissant ŕ ce qu’elle allait dire.
— Vous allez me trouver trčs directe, mais nous repartons ŕ Santa Monica demain aprčs-midi. Et je déteste...