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Fancy la Scandaleuse
de Carrie Alexander

Chapitre 1: Page 1

– Un scandale ! C'est un véritable scandale ! hurla Hester Hightower de sa voix de crécelle.

Les sourcils froncés, le tympan vrillé, Jeremiah Quick reposa sur son bureau le bulletin météorologique du jour pour lever un regard las vers la visiteuse... Tout compte fait, avait-il vraiment eu une bonne idée, en instaurant le libre accès à son bureau de directeur de La Gazette de Webster Station ? Les glapissements outragés d'Hester Hightower – qui venait là plus souvent qu'à son tour – commençaient à le faire douter. Et à lui taper sérieusement sur les nerfs !

Il prit son courage à deux mains pour subir l'inévitable tirade enflammée de la harpie sans perdre son calme.

– Qu'est-ce qu'il y a, cette fois, madame Hightower ?

– La coupe est pleine ! lâcha la vieille dame vibrante d'indignation. C'est tout simplement... dégoûtant !

Perplexe, Jeremiah détailla de mémoire la une de l'édition du jour. Qu'est-ce qui, dans son journal, avait encore pu susciter le courroux de la présidente de la Ligue de la Morale et de la Décence ? Tout de même pas les cuisses des majorettes en minijupes ? C'était le clou du festival de Webster Station ! A moins que...

Un sourire ironique plissa ses lèvres.

– Ce vieux satyre de Rubens aurait-il de nouveau sévi ? demanda-t-il.

... Récemment, Hester et ses amies s'étaient rassemblées devant la bibliothèque pour interdire l'acquisition de livres d'art. Les peintures de Rubens, Raphaël, Titien et Tintoret, disaient-elles, montraient beaucoup de chair féminine.

Vieilles prudes...

– Rubens..., répéta, Hester. Hélas, nous n'en sommes plus là !

L'air sombre, elle posa un énorme sac à la Mary Poppins sur le bureau de Jeremiah, l'ouvrit, en tira successivement un journal, des aiguilles à tricoter, une paire de jumelles, et enfin... un téléphone portable sur lequel elle composa un numéro d'un doigt impatient, sans interrompre sa harangue.

– Monsieur Quick, en tant que personnalité de notre petite ville, vous devez nous appuyer !

Derrière le verre épais de ses lunettes à double foyer, ses yeux de fouine scrutaient Jeremiah d'un air accusateur – comme si, en tant que rédacteur en chef, il avait été personnellement responsable de la situation.

– Allô, Fritzi ? glapit-elle dans l'appareil quand elle eut obtenu la communication. Sors les banderoles de ton garage et gagne au plus vite la Grand-Rue, au carrefour avec la rue Dogwood. Il y a...

Elle s'interrompit, ferma les yeux, chercha son souffle. Puis acheva sur le ton de la catastrophe.

– ... Il y a une femme nue sur la voie publique !

Cette fois, Jeremiah Quick dressa l'oreille. Une femme nue ? Ca devenait intéressant. A condition, naturellement, qu'Hester Hightower ne fasse pas tout bêtement allusion aux publicités pour les sous-vêtements Calvin Klein qui tapissaient les murs de la ville... Parce que ça, ce n'était pas vraiment intéressant, en revanche.

– Rassemble les troupes, moi je me charge de joindre Maybelle, continua la présidente de la Ligue de Morale et de Décence de Webster Station.

Elle possédait l'autorité d'un général en campagne. La bataille s'annonçait rude !

– Du calme, Hester..., lança Jeremiah quand elle eut rengainé son téléphone. Avant de vous emballer, asseyez-vous, et expliquez-moi les faits.

Mais elle refusa d'un geste scandalisé la chaise qu'il lui proposait.

– La situation est grave, monsieur Quick, tonna-t-elle. Chaque minute compte !

– Je vois, je vois. Alors... il y a vraiment une femme nue dans les rues de Webster Station ?

– Parfaitement !

– Une femme... de chair, n'est-ce pas ? insista Jeremiah, qui n'avait aucune envie de dépêcher un reporter sur les lieux pour des prunes.

– Juré craché ! De ma vie, ajouta la harpie, je n'ai jamais rien vu d'aussi scandaleux !

– Et nue ? reprit Jeremiah. C'est-à-dire... dépourvue de tout vêtement ?

– Nue comme l'enfant Jésus ! scanda Hester en dardant sur son interlocuteur un regard furibond.

... Avant de se signer et de demander pardon au Seigneur pour ce maladroit blasphème.

– Cette femme nue..., s'enquit alors Jeremiah en fronçant le sourcil. On peut la voir ?

– Et comment ! Il y a plus d'une demi-heure qu'elle se donne en spectacle !

Donc, c'était du sérieux.

Ca valait le déplacement.

Jeremiah se leva pour gagner la salle de rédaction.

– Au travail ! lança-t-il à la cantonade. Il y a une femme nue dans la Grand-Rue !

Douze têtes se dévissèrent. Et autant de paires d'yeux sortirent de leurs orbites.

– Une... une femme nue ? bégaya la secrétaire, la timide Willa Clark.

Les trois mâles présents dans la salle avaient déjà bondi de leur siège. Leo Bean, responsable de la page sportive, sortit le premier, suivi de près par Hemish Hightower, le beau-frère d'Hester puis par Bounty Quick, le frère cadet de Jeremiah.

Ce dernier frappa impatiemment à la porte de la chambre noire où le photographe du journal était d'ordinaire séquestré.

– Pringle, sors de là !

Un colosse aux cheveux pâles et au teint blême émergea de l'obscurité.

– Femme nue sur la Grand-Rue ! annonça sobrement Jeremiah. Dépêchons-nous...

Et en quelques secondes, la petite salle de rédaction s'était presque vidée. Seule Willa n'avait pas osé déserter les lieux.

– Restez près du téléphone, lui ordonna d'ailleurs Jeremiah.

– A vos ordres, patron, soupira-t-elle en prenant un air de chien battu. Je reste vissée sur mon siège. Comme d'habitude.

Pris de remords, Jeremiah ouvrit un tiroir et tendit à Willa une feuille dactylographiée.

– Tenez, vous n'avez qu'à corriger le dernier article de Mitzi... Surtout, n'hésitez pas à couper les longueurs !

– Oh, merci, monsieur Quick... J'en bâille déjà...

– Amusez-vous bien, Willa...

Dehors, Hester attendait le rédacteur en chef en piaffant d'impatience. Ils se mirent en route sans attendre. Devant eux, Pringle et Leo descendaient la Grand-Rue comme des loups affamés.

Et tout à coup, ils virent qu'un attroupement s'était formé devant une pimpante boutique repeinte à neuf, et décorée de ballons de baudruche et de rubans de couleur. Au-dessus de la devanture, une banderole annonçait l'ouverture imminente d'un magasin de lingerie et de produits pour le bain.

– Regardez-moi ça ! Voyeurs ! tonna Hester en se frayant un chemin.

Parvenue au premier rang, elle se tourna vers Jeremiah d'un air triomphal.

– Vous voyez ? Je vous l'avais bien dit ! Nue comme un ver !

Alors Jeremiah demeura bouche bée.

Ainsi, Hester n'avait pas menti.

Il y avait bel et bien une femme nue dans la Grand-rue !

Ou plutôt, dans la vitrine...

Chapitre 2: Page 1

- Je n'ai jamais rien vu d'aussi choquant ! décréta Hester d'un ton sans appel.

S'il avait été capable d'aligner deux mots, Jeremiah l'aurait aussitôt contredite. Choquant ? Et pourquoi ça ? Surprenant, plutôt. Délicieux, assurément...

– Nom d'une pipe ! grommela Ham, les yeux exorbités.

– Elle a du cran, remarqua Leo, admiratif.

Bounty, lui, avait collé le front à la vitrine.

– Elle n'est pas tout à fait nue..., reprit alors Jeremiah qui venait de recouvrer la parole.

– C'est encore pire ! affirma Hester de sa voix hystérique. Elle est dans son bain ! Suggérer, c'est plus pernicieux que montrer. Cette fille est impudente et sournoise !

De l'autre côté de la vitre, l'impudente distribuait des baisers. Des milliers de petites bulles de savon formaient autour d'elle une mousse irisée et aérienne, qui suivait chacun de ses gestes, et enveloppaient ce que son corps avait sans doute de mieux.

– Mmm..., gémit Bounty, en extase.

Hester, derrière eux, écumait.

– Bande de pervers ! Voyeurs ! Dégénérés !

Mais la foule, charmée par le spectacle, ne lui prêtait pas la moindre attention. D'ailleurs, il y avait belle lurette que les imprécations de la présidente de la Ligue n'effrayaient plus personne. Et que la décence avait cessé d'intéresser Webster Station...

Jeremiah, lui, n'avait pas vraiment d'autre choix que celui d'écouter, hélas. Hester le secouait comme un prunier en lui hurlant à l'oreille :

– Cet étalage de chair humaine déshonore notre ville. Et avec elle, toute l'humanité. Réagissez, monsieur Quick !

– Mais... mais comment ? bredouilla Jeremiah, hypnotisé par l'exquis spectacle qu'il avait sous les yeux.

– Un éditorial bien senti, de votre plume, exposerait cette femme à l'opprobre publique !

L'opprobre... Cette fois, Jeremiah perdit son flegme. Hester en faisait tout de même un peu trop !

– Exposée ? reprit-il avec ironie. Il me semble qu'elle l'est déjà suffisamment comme ça.

Hester devint écarlate.

– Monsieur Quick, l'heure n'est pas à la plaisanterie !

– Madame Hightower, calmez-vous ! Il n'y a pas de quoi en faire un drame...

Du menton, il désigna la vitrine.

– Après tout, cette jeune femme ne fait de mal à personne !

Frisant l'apoplexie, Hester désigna un garçonnet, au premier rang.

– En êtes-vous aussi sûr, monsieur Quick ? dit-elle d'une voix où montait un sanglot. Songez au traumatisme qui risque de perturber cet enfant à vie !

– Pensez-vous ! De nos jours, les gamins de cet âge en voient dix fois plus à la télévision que...

– Justement ! coupa la virago. Saisissons cette occasion pour protester contre le déclin des valeurs familiales dans notre pays ! Notre Ligue va lancer une campagne de moralisation auprès du public pour...

Jeremiah l'interrompit à son tour.

– Si vous permettez... Le public a l'air d'apprécier, lui !

A ce moment-là, Hester avisa une vieille camionnette poussive.

– Ah, du renfort ! s'exclama-t-elle.

Enfin libre, Jeremiah put reporter avec délice son attention sur la vitrine. A côté de lui, Pringle mitraillait la jeune femme dans son bain sous tous les angles.

– Elle n'a pas froid ? s'inquiéta quelqu'un.

– Ca fait combien de temps qu'elle est là ? renchérit un autre.

– Et comment va-t-elle sortir de son bain sans montrer ses fesses à tout le monde ?

Bonne question, approuva Jeremiah en lui-même. Il avait hâte de connaître la réponse !

– Ca fait au moins vingt bonnes minutes qu'elle est dans cette vitrine, coassa le vieil Elmer, qui passait le plus clair de ses journées assis sur le banc d'en face.

– Si je comprends bien, vous l'avez vue arriver ? s'informa Ham avec le plus vif intérêt.

Le vieil homme hocha la tête, dépité.

– Non, j'étais parti faire ma petite promenade. C'est pas de chance, hein ?

Et il ajouta avec un sourire égrillard.

– Hé, Pringle ! Tu me prends en photo avec la demoiselle ?

La jeune femme les entendait-elle ? se demanda alors Jeremiah, tandis que le vieil Elmer prenait la pose. Le sourire gracieux qu'elle dirigea vers l'objectif semblait prouver que oui.

Et pendant ce temps, occupée à décharger la camionnette avec ses amis, Hester n'avait pas désarmé.

– Quel exhibitionnisme lamentable ! Vous devriez avoir honte !

La charmante inconnue se contenta de lui tirer la langue et envoya un autre baiser qui fit virevolter mille bulles nacrées.

Mais qui est-ce ?

Elle était si... adorable, si pétillante ! Pas vulgaire, non, pas le moins du monde. Il y avait même quelque chose de si charmant dans son sourire... Le sourire d'une femme libre, téméraire, qui se fiche comme d'une guigne du qu'en-dira-t-on... Il éprouva aussitôt pour elle une admiration sans bornes.

Alice Ann pinça les lèvres, un peu déçue.

– Ce n'est qu'un truc publicitaire !

– Mais ça marche..., murmura Jeremiah en dévorant des yeux la jolie brune, derrière la vitrine.

Etait-elle vraiment nue, d'ailleurs ? Comment savoir, avec toutes ces bulles qui moussaient dans la baignoire ?

– C'est quoi, cette boutique ? s'informa-t-il auprès de sa collaboratrice. Que savez-vous de...

– ... La fille ? Elle s'appelle Fancy O'Brien. La boutique lui appartient.

– Francy O'Brien...

– Fancy, sans r – le diminutif de Francine. Vous ne lisez jamais votre propre journal, chef ? Je l'ai interviewée la semaine dernière...

A cet instant, Fancy trempa une éponge dans son bain, puis fit ruisseler l'eau sur sa gorge nue. Le manteau de bulles se réduisait dangereusement, laissant deviner un corps de rêve...

Décidément, songea Jeremiah, elle ne manquait pas d'atouts.

Ni de créativité ! Il suffisait de regarder sa boutique. La vitrine, qui occupait l'angle de la Grand-rue et de la rue Dogwood, était aménagée en salle de bains de style victorien. Le lavabo en porcelaine, la robinetterie de cuivre, la patère de bois à laquelle était accroché un peignoir en dentelle formaient un cadre rétro et raffiné. La vue de l'affriolant corset de satin rose qui reposait négligemment dans un fauteuil tendu de velours augmenta dangereusement son rythme cardiaque, tout comme la paire de bas noirs posés à côté et qui avaient sans doute été en contact intime avec les jolies jambes de Fancy O'Brien... Une ravissante coiffeuse de bois clair, couverte de pots de crème et de flacons de parfum, occupait la partie de la vitrine qui donnait sur la rue Dogwood.

Le décor avait du chien, admit Jeremiah. Mais rien ne valait le spectacle de la jolie Fancy à demi allongée dans une baignoire à l'ancienne.

Délaissant l'éponge, la jeune femme venait de s'emparer d'un miroir et faisait mine d'admirer son reflet, taquinant du coin de l'oeil un public conquis.

Adorable, elle était adorable ! Sa chair blanche et nacrée, appétissante comme un fruit mûr, semblait appeler les caresses. Et ce frisottis de cheveux humides, sur sa nuque, suscitait en lui des réactions... tout à fait contraires aux principes de la Ligue de Morale et de Décence.

Leurs regards se croisèrent. Une petite flamme dansa dans le regard gris-bleu de la jeune femme, et Jeremiah crut que son coeur allait cesser de battre.

C'est alors qu'une jambe longue et fine émergea du bain, pointant des ongles manucurés en direction du plafond.

– Oooh, mon Dieu..., soupira Bounty, tandis qu'au dernier rang, un spectateur laissait échapper un long sifflement.

Jeremiah ne put réprimer un peu d'irritation. Il n'avait aucun droit sur Fancy O'Brien, bien sûr... seulement, ces réactions vulgaires le mettaient hors de lui ! Et la sensualité avec laquelle Fancy O'Brien promenait nonchalamment l'éponge sur sa jambe galbée ne méritait aucune vulgarité. D'autant que ce simple geste le mettait à l'agonie...

- Le public mâle manifesta de nouveau bruyamment.

– Je peux vous savonner le dos ?

– Et les jambes ?

Sous l'eau turquoise, on devina soudain la courbe pleine de ses seins, et leurs pointes roses comme des framboises.

Ce fut l'étincelle qui mit le feu aux poudres. Un concert de protestations suraiguës s'éleva de derrière l'attroupement.

– Allumeuse !

– Catin !

– A bas la pornographie !

Une douzaine de membres de la Ligue avaient formé un cordon le long du trottoir et brandissaient des pancartes.

Les spectateurs se contentèrent de hausser les épaules.

– Ce n'est que cette pauvre Hester..., grommela quelqu'un.

– Ignorons-la. Hé, regardez dans la vitrine... Là...

– Regardez ! répéta le vieil Elmer en s'étranglant. Elle sort de son bain !

Fancy O'Brien venait en effet de poser ses accessoires sur une petite chaise et faisait mine, telle Venus, de sortir de l'eau.

Toute l'assistance retint son souffle...

Le pire pour les uns, le meilleur pour les autres, allait se produire...

Aussi un « oh » de déception accueillit-il l'arrivée d'une femme de chambre dans la vitrine. Une femme de chambre qui installa un joli paravent devant la vitre.

– Nom d'une pipe, grommela Elmer, tout déconfit.

Les pieds roses et menus de Fancy se posèrent sur le tapis de bain, tandis que la tête rieuse de la jeune femme dépassait du paravent. Trente secondes plus tard, elle était pelotonnée dans un grand peignoir en éponge. Le spectacle était terminé.

Il y eut un tonnerre d'applaudissements. Alors, le sourire aux lèvres, Fancy fit une rapide révérence, puis s'éclipsa.

– C'est tout ? maugréa Alice Ann en refermant son calepin d'un geste sec. Franchement, il n'y a pas de quoi fouetter un chat !

– Au contraire, ça fera un excellent papier, murmura Jeremiah, sans pouvoir détourner les yeux de la baignoire où, quelques minutes auparavant s'alanguissait la jolie Fancy. Interviewez Hester, pendant que je cueille à chaud les réactions de Mlle O'Brien...

– A vos ordres, chef !

Redressant les épaules, Alice Ann fonça d'un pas décidé vers les manifestantes, son calepin à la main.

La foule était en train de se disperser, et la plupart des journalistes avaient regagné la salle de rédaction de ...

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