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Une femme pręte ŕ toutde Patricia WILSONChapitre 1 : page 1

Tamara coupa le contact et laissa errer son regard le long de Lancrest Mews. Un sourire lui effleura les lčvres. Le classicisme harmonieux des façades sagement alignées l’emplissait toujours du męme bonheur...
Un pli irrité apparut soudain sur son front lorsque ses grands yeux fauves se posčrent sur l’immense panneau qui défigurait le vieil hôtel, au bout de la rue. L’inscription qu’on y lisait annonçait clairement la couleur : « Tysak Holdings — Attention, travaux. »
En proie ŕ une sourde colčre, la jeune femme se pinça les lčvres. Ce maudit panneau était la premičre chose qu’elle voyait en arrivant ŕ la boutique. Les trois jours qu’elle venait de passer ŕ Londres le lui avaient fait oublier, mais un coup d’śil avait suffi pour lui rappeler les soucis qu’il lui causait. Non seulement ces travaux gęnaient considérablement la bonne marche du magasin, mais Tamara nourrissait les pires pressentiments sur les projets du promoteur.
Le seul nom de Jason Tysak lui inspirait une aversion qui augmentait de jour en jour. Sans avoir jamais rencontré cet homme, elle pensait ŕ lui toute la journée, quand la poussičre, le bruit et d’autres nuisances l’empęchaient d’exercer son métier.
Claquant la portičre de la voiture, elle traversa en pestant le parc qui séparait la rue de Lancrest Mews. Dire qu’elle avait choisi cet endroit pour son élégance et son calme ! Et encore, s’il n’y avait que ça ! Elle avait mis un terme ŕ une brillante carričre de mannequin pour investir dans Impressions des économies patiemment amassées depuis l’âge de seize ans. Elle avait tout risqué pour créer cette boutique. Son flair infaillible et le réseau de relations qu’elle conservait ŕ Londres dans le milieu de la mode lui avaient facilité la tâche et, peu ŕ peu, Impressions avait acquis une réputation unique dans la région. Toutes les femmes de notables venaient désormais s’y habiller.
Seulement, cette clientčle commençait ŕ se plaindre de la baisse de standing occasionnée par la restauration de l’hôtel. Tamara sentait son navire menacé et il ne s’écoulait pas une journée sans qu’elle fulmine. Toutefois, elle ne pouvait que rester impuissante devant cet état de choses.
Tout se déroulait ŕ merveille avant l’apparition du funeste panneau. Depuis, c’était un concert de marteaux-piqueurs et de scies électriques, ponctué par la musique d’un transistor poussé ŕ plein volume par les ouvriers, qui accompagnaient de leurs voix enthousiastes chacun des tubes qui passaient.
A la demande d’Eric Simpson, le patron du salon de coiffure adjacent, les ouvriers avaient baissé la radio... d’un décibel. Mais ils n’avaient pas renoncé ŕ reprendre en chśur les refrains des chansons tandis qu’ils martelaient avec entrain. Et lorsque Eric s’était plaint de la poussičre, que la brise poussait vers les boutiques, on lui avait répondu que personne n’y pouvait rien. Aprčs trois semaines de ce régime, la fureur de Tamara approchait du point de rupture.
La jeune femme avait écrit d’innombrables lettres de protestation et menacé d’intenter un procčs, sans autre résultat que des regrets polis et l’assurance que ses tourments prendraient fin rapidement. Restait ŕ savoir ce que Tysak Holdings entendait par « rapidement » : les opinions divergeaient sur ce point.
Perchés en haut des échafaudages, les ouvriers prenaient leur déjeuner. A côté d’eux, le transistor laissait échapper une musique rock assourdissante. Comme ŕ leur habitude, ils hélčrent Tamara en l’apercevant. Furieuse, celle-ci leur adressa un regard noir, auquel ils répondirent par des sourires moqueurs.
En pénétrant dans la boutique, la jeune femme jeta un coup d’śil aux grandes housses de plastique qui recouvraient les portants. Janet, son assistante, était vraiment une perle ! Męme si elle ne s’absentait qu’une demi-heure pour déjeuner, elle prenait toujours soin de protéger les vętements. En pure perte, d’ailleurs : la poussičre s’infiltrait partout.
Tamara réprima une soudaine envie de sortir pour crier son indignation aux ouvriers. Mais ŕ quoi bon s’acharner contre eux ? Ils n’étaient coupables de rien. Le seul, l’unique responsable était ce Jason Tysak.
— Maudits soient les promoteurs ! maugréa-t-elle.
Pour une bouchée de pain, ils rachetaient des bijoux d’architecture ancienne sous prétexte de les rénover et les dégradaient ensuite sans le moindre scrupule... De plus, Jason Tysak avait finement manśuvré en installant ses bureaux provisoires ŕ Victoria Crescent, au milieu des notaires, médecins, avocats et autres professions libérales. Cela lui donnait une aura de respectabilité dont Tamara, Dieu merci, n’était pas dupe.
La mine sombre, la jeune femme contempla ce que l’on nommait pompeusement le parc. Il s’agissait en fait d’une longue bande de gazon bordée de hętres centenaires qui séparait la rue de l’allée pavée longeant les boutiques. Les grilles qui entouraient cet espace vert lui conféraient un petit air majesteux qui s’accordait parfaitement avec l’élégance edouardienne de Lancrest Mews, mais l’ensemble évoquait plutôt un square qu’un véritable parc.
Trois autres commerces avaient ouvert en męme temps que celui de Tamara. Le salon de coiffure d’Eric Simpson n’était pas ŕ proprement parler une boutique de luxe, mais il visait lui aussi une clientčle haut de gamme, désireuse d’effectuer achats et soins de beauté dans un cadre raffiné.
Juste ŕ côté, Edwina Brown vendait de la lingerie fine, des tenues de plage et des accessoires de grands couturiers. A l’autre extrémité, Kenneth Dennison proposait chaussures et sacs italiens et français. L’ensemble de ces boutiques formait un quatuor de référence dans la petite ville. Un quatuor dont les affaires florissaient jusqu’ŕ l’apparition de Jason Tysak.

La rumeur de la vente de l’hôtel s’était répandue comme une traînée de poudre. Etant donné l’état de décrépitude du bâtiment, tout le monde avait cru ŕ sa démolition pure et simple. Puis on avait appris avec stupeur que l’acheteur projetait en réalité de le restaurer et de l’agrandir. Depuis, Tamara se rongeait les sangs, persuadée que l’extension se ferait au détriment des commerçants de la rue et que leurs jours ŕ Lancrest Mews étaient comptés.
Jason Tysak n’avait pas encore daigné se montrer, mais Tamara se méfiait. En dépit du peu d’intéręt qu’il manifestait pour Lancrest Mews, elle était persuadée qu’il envisageait de racheter, tôt ou tard, les maisons avoisinantes.
Assise ŕ son bureau, situé au fond de la boutique, Tamara entreprit de trier le courrier. En levant la tęte pour masser sa nuque douloureuse, elle aperçut son reflet dans la glace. Son expression tendue la fit presque tressaillir. Si elle continuait ŕ broyer ainsi du noir, elle aurait des rides avant son vingt-cinquičme anniversaire. Et celui-ci n’avait lieu que dans quelques semaines...
Un soupir découragé lui échappa. Si seulement Jason Tysak pouvait ne jamais avoir vu le jour !
Un rayon de soleil illuminait ses cheveux d’un flamboiement presque roux. Attachés en arričre, ils dégageaient son visage aux traits délicats, oů des yeux couleur d’ambre brillaient d’un éclat inhabituel. Au prix d’un immense effort, la jeune femme s’obligea ŕ se détendre en décontractant ses épaules. Puis un sourire vint adoucir ses lčvres pleines. Jason Tysak anéantirait peut-ętre son ręve, mais il ne parviendrait pas ŕ la transformer en pie-gričche. Et puis, si personne ne voulait l’affronter, elle s’en chargerait elle-męme, mais avec calme et méthode.
Apaisée par ces réflexions, elle se tourna en souriant vers la porte, oů Janet venait d’apparaître.
— Bonjour, Janet !
Devant la mine sinistre qu’affichait la nouvelle venue, Tamara sentit son inquiétude revenir.
— Bonjour, Tamara, répondit la vendeuse d’une voix terne. Tu as fait une bonne pęche ?
— J’ai trouvé plusieurs tenues assez originales pour compléter la collection de printemps. Il était temps, d’ailleurs. Les perce-neige sont déjŕ sortis, tu as vu ?
— Oui. Les crocus aussi.
La façon dont Janet évitait son regard eut raison de la sérénité précaire de Tamara.
— Que se passe-t-il, Janet ?
Sans répondre, celle-ci ôta son manteau avec lenteur.
— Janet !
— Jason Tysak a racheté Lancrest Mews, murmura la vendeuse en levant un regard anxieux sur Tamara.
L’explosion de colčre qu’elle redoutait sans doute ne vint pas. Tamara choisit au contraire d’adopter un ton froid, presque indifférent.
— Comment le sais-tu ?
— Eric, Kenneth et Edwina ont chacun reçu une lettre du notaire de Tysak. J’imagine que tu vas en avoir une toi aussi.
— Je l’espčre bien !
Le visage blęme, Tamara repoussa son fauteuil et s’approcha de la vitrine. Ainsi, ses pires soupçons se confirmaient. Les quatre baux, qui devaient ętre renouvelés ŕ la fin du mois, ne le seraient pas : Jason Tysak expulserait tous les commerçants de Lancrest Mews pour agrandir son satané hôtel ! C’en était fini d’Impressions...
Folle de rage, Tamara se rendit immédiatement dans la boutique voisine, oů elle trouva Edwina.
— Ah, Tamara ! Tu es au courant ?
— Evidemment !
La jeune femme ressentit une certaine surprise devant le sourire qu’affichait Edwina.
— Inutile de te mettre dans tous tes états, Tamara, poursuivit celle-ci. Je suis allée ŕ Victoria Crescent ce matin. Comme tu le craignais, nous devons quitter Lancrest Mews. Mais ce n’est que provisoire.
— Comment ça, provisoire ?
— On nous demande de vider les lieux ŕ la fin du mois pendant quelques semaines, pour permettre la rénovation des façades. Ensuite, la vie reprendra son cours, sauf que nous aurons un nouveau propriétaire.
— Et tu prends ce tissu de mensonges pour argent comptant ? Tu t’imagines que cet homme nous laissera revenir ? Ne ręve pas ! Une fois partis, ce sera pour de bon ! T’es-tu renseignée sur la signature des nouveaux baux, au moins ? Je parie que les sbires de Tysak n’ont pas pu te fixer de date, pour la bonne raison qu’il n’y aura pas de signature !
Sans s’en rendre compte, Tamara avait haussé le ton. Ses yeux lançaient des éclairs. Edwina leva la main d’un geste apaisant.
— Nous signerons en réintégrant Lancrest Mews. On me l’a affirmé ce matin, en tout cas. D’autre part, Tysak Holdings prend ŕ sa charge nos loyers pendant notre absence.
Comment pouvait-on ętre aussi naďf ? Tamara considéra son amie avec effarement, puis prit congé et se rendit chez Kenneth. Celui-ci lui tint le męme discours qu’Edwina. Enfin, Eric ne mit pas non plus en doute les promesses de Tysak Holdings. Aveugles, ils étaient tous aveugles ! Les machinations de Jason Tysak étaient claires comme de l’eau de roche pourtant. Le promoteur les mettait purement et simplement ŕ la porte sans avoir le courage ni l’honnęteté de le leur annoncer !
Le moral au plus bas, Tamara dut fournir un gros effort sur elle-męme pour accueillir ses clientes de l’aprčs-midi avec le sourire. Mme Prost, une femme trčs influente dans la ville, l’interrogea sur son prochain défilé de mode.
Deux fois par an, au printemps et ŕ l’automne, Tamara organisait en effet avec ses voisins un défilé pour présenter les nouvelles collections. Gillian, la fille de Mme Prost, ainsi que plusieurs autres jeunes du coin participaient ŕ l’événement, auquel toute la ville assistait. L’année précédente, Gillian leur avait fait faux bond au dernier moment. Tamara l’aurait volontiers rayée de ses listes, mais de crainte de perdre la clientčle de Mme Prost et de ses amies, elle n’avait d’autre choix que de l’enrôler de nouveau.

— Tout se déroulera comme d’habitude, déclara Tamara.
— Avez-vous fixé la date ?
— C’est prévu pour le 27 mars. Nous aurons reçu toute la collection d’ici lŕ.
Ce ne fut qu’aprčs le départ de Mme Prost que Tamara fit le lien entre la date annoncée et la fin du bail. Il lui faudrait évacuer Lancrest Mews quatre jours aprčs le défilé, ŕ une période oů la boutique ne désemplissait pas. Comment satisfaire la clientčle si Janet et elle-męme étaient plongées jusqu’au cou dans les cartons d’emballage ? C’était une véritable catastrophe.
Anéantie, Tamara regagna son bureau tout en s’efforçant de résoudre ce problčme. Comment contrer les projets de Jason Tysak quand celui-ci tenait tous les atouts en main ? Songeuse, la jeune femme se posta devant la fenętre qui donnait sur l’arričre. Elle se figea tout ŕ coup.
— Janet ! Qui sont ces hommes dans la cour ?
Janet s’approcha pour jeter un coup d’śil.
— C’est l’architecte de Tysak Holdings avec le maître d’śuvre, le géomčtre et un membre de la commission municipale chargée de vérifier que tout est en ordre. Ils sont venus visiter la boutique hier.
— Pourquoi ça ?
En proie ŕ une sinistre appréhension, Tamara retint son souffle.
— Ils ne me l’ont pas dit, mais ils sont absolument charmants.
Le contraire eut étonné Tamara : enjôler pour mieux tromper faisait partie de leurs attributions. En attendant, les combines de Jason Tysak se précisaient : il avait bien l’intention d’absorber Lancrest Mews pour l’intégrer ŕ l’hôtel. Cependant, Tamara ne se laisserait pas faire ! Elle volerait dans les plumes de cet imposteur et l’obligerait ŕ dévoiler son jeu. La façade de respectabilité qu’il affichait n’y résisterait pas. Il n’y avait pas de temps ŕ perdre. Il fallait agir tout de suite !
Enfilant sa veste en toute hâte, Tamara s’empara de son sac.
— Je compte sur toi pour fermer la boutique ce soir ! lança-t-elle ŕ Janet en sortant.
La plupart des occupants de Victoria Crescent se contentaient d’un appartement en guise de bureau ou de cabinet. Tysak Holdings, en revanche, occupait la plus belle maison de la place.
Tamara pila et gara sa voiture le long du trottoir, puis remonta la courte allée au pas de charge. Elle se sentait d’humeur ŕ en découdre avec la terre entičre. Et si quelqu’un osait lui dire qu’elle n’avait pas rendez-vous, on verrait un peu de quel bois elle se chauffait ! Bien sűr, elle n’espérait pas rencontrer le grand patron en personne — en cette saison, il devait réchauffer ses vieux os au soleil des Caraďbes — mais elle comptait fermement sur ses collaborateurs pour lui transmettre le fond de sa pensée.
Contre toute attente, la seule mention de Lancrest Mews auprčs de la réceptionniste agit comme un sésame. Un large sourire aux lčvres, celle-ci annonça ŕ Tamara que la secrétaire personnelle de Jason Tysak se ferait une joie de la recevoir immédiatement.
Tamara s’engagea dans un couloir, oů une épaisse moquette étouffa son pas rageur. Le grand manitou avait jugé bon de dépęcher son factotum pour essuyer les coups durs ! Elle souhaitait ŕ cette « secrétaire personnelle » d’ętre coriace, parce qu’elle n’avait pas l’intention de l’épargner.
Le factotum se révéla ętre une ravissante jeune femme brune dont Tamara apprécia l’élégance en connaisseuse. De toute évidence, elle était bien rémunérée... ou généreusement entretenue, rectifia-t-elle avec cynisme.
Elle regretta cette derničre réflexion lorsque la secrétaire lui adressa un sourire chaleureux.
— Vous avez de la chance, mademoiselle Rawson. M. Tysak est ici en ce moment.
— En personne ?
Tamara n’en crut pas ses oreilles. Ainsi, les poumons de ce vieillard supportaient la rigueur d’une fin d’hiver anglaise !
— Eh oui, en personne. Nous n’avons pas souvent ce plaisir, mais il est lŕ depuis deux jours et il se trouve qu’il peut vous recevoir.
Le ton suggérait que Tamara avait bien de la chance qu’un homme aussi puissant daigne s’intéresser ŕ une simple mortelle.
— Mlle Rawson, monsieur, annonça la secrétaire en introduisant Tamara dans le saint des saints avant de s’éclipser.
La visiteuse avança jusqu’au centre d’une immense pičce qu’elle observa avec surprise. Car hormis quelques rares meubles anciens et un bureau, derričre lequel on voyait un grand fauteuil orienté vers la fenętre, la pičce était vide. De vieillard aux petits yeux rapaces, point ! A croire que la secrétaire s’était adressée ŕ un fantôme !
Décontenancée, la jeune femme sentit sa colčre se muer en malaise. A quoi rimait cette comédie ?
Elle en était lŕ de ses réflexions lorsque le fauteuil pivota lentement vers elle. Un regard noir et pénétrant croisa le sien, dissipant le portrait du vieillard cacochyme concocté par son imagination survoltée.
Jason Tysak se leva et lui indiqua un sičge face au bureau.
— Asseyez-vous, mademoiselle.
D’instinct, Tamara pressentit qu’elle se trouvait face ŕ un adversaire redoutable. Ce n’était pas tant ce physique de dieu grec que possédait Jason Tysak qui lui inspira cette pensée, mais plutôt l’impression de puissance et d’autorité qui émanait de lui.
Elle prit place dans le fauteuil qu’il lui désignait tout en se livrant ŕ un rapide examen de son interlocuteur. Grand, mince et bien bâti, il était beau, trčs beau męme. Ses yeux noirs trčs vifs frappaient d’abord, dans ce visage aux traits fermes et réguliers. Les cheveux, noirs également, étaient trčs légčrement bouclés. Il portait un costume sombre trčs strict, mais sous cette apparence impeccable, on devinait une nature indomptable, un tempérament fougueux qui parut trčs dangereux ŕ la jeune femme.

— Geronimo, chuchota-t-elle dans un souffle.
Surpris par cette entrée en matičre, l’homme eut un haussement de sourcils amusé.
— Pardon ?
Tamara sentit une rougeur traîtresse lui monter aux joues.
— Vous m’avez surprise, dit-elle.
— Excusez-moi, je contemplais la place. C’est une merveille d’architecture classique.
Tamara réprima une moue railleuse. Sans doute était-il en train de calculer le nombre d’hôtels qu’il pourrait y installer...
— Que puis-je pour vous, mademoiselle Rawson ?
Le ton poli mais ennuyé, hérissa Tamara.
— Vous pourriez quitter la ville, mais je doute que cela soit de quelque utilité, puisque les dégâts que vous avez causés sont désormais irrémédiables.
— On m’a transmis vos griefs, déclara-t-il sans relever le sarcasme. Si votre boutique a subi des dommages, Tysak Holdings remplacera les marchandises détériorées. Nous ne voulons pas causer la moindre gęne aux locataires de Lancrest Mews.
— Il ne s’agit pas de marchandises, monsieur, mais de vętements uniques et coűteux.
— J’ai cru comprendre que la poussičre était un problčme.
Tout en parlant, il parcourut avec circonspection des feuilles posées devant lui. De sa place, Tamara reconnut sa propre écriture.
— La poussičre, le gravier et la baisse de standing sont des gęnes permanentes, monsieur. Or, le prestige est l’un des atouts majeurs de Lancrest Mews.
— Je le sais. C’est précisément pour cela que j’ai acheté ces maisons. Si le jeu n’en valait pas la chandelle, je n’entreprendrais pas des travaux de cette envergure pour les remettre en état.
Tamara saisit la balle au bond.
— Jouons cartes sur table, voulez-vous ? Vous comptez adjoindre Lancrest Mews ŕ votre hôtel, non ? Avouez-le !
— Avez-vous consulté les plans, mademoiselle ?
— Oui, mais je suis persuadée qu’ils sont factices. Je vois d’ici vos projets : vous voulez conserver les façades de Lancrest Mews, mais supprimer les boutiques afin d’étendre l’hôtel par l’arričre.
— De toute évidence, vous n’avez aucune notion d’architecture, mademoiselle Rawson, répondit Jason Tysak avec un petit rire condescendant. Laissez-moi vous expliquer certaines choses.
Il se leva de son sičge et Tamara l’imita, exaspérée.
— Inutile de vous donner cette peine, monsieur ! Je ne vous croirai pas. Et j’ai la ferme intention de démasquer publiquement vos intentions, alors préparez-vous ŕ la bagarre.
— Si cela vous amuse, murmura-t-il avec une petite moue moqueuse.
Avec l’argent, semblaient dire ses yeux noirs, toutes les difficultés s’aplaniraient... Cependant, il en fallait davantage pour impressionner Tamara, qui savait que, dans sa petite ville, l’opinion publique représentait un levier puissant, qu’elle se faisait fort de manśuvrer.
— C’est vous que cela amuse, pour l’instant, monsieur Tysak. Mais d’ici peu, vous ne rirez plus. Nous sommes début mars et les baux expirent ŕ la fin du mois. Cela me laisse amplement le temps d’agir. Je vous préviens qu’ŕ l’inverse des autres commerçants, je me battrais bec et ongles.
— Puis-je me permettre de vous rappeler que je suis propriétaire de Lancrest Mews et que ma demande de permis de construire a été agréée ?
— La belle affaire ! Je vois clair dans votre jeu : une fois que vous nous aurez tous mis ŕ la porte, vous modifierez les plans sans avertir personne. Mais vous n’y parviendrez pas. J’y veillerai !
— J’ai le bras long, mademoiselle. Vous risquez de vous repentir amčrement de négliger la force de votre adversaire.
Cette fois, toute trace d’amusement avait disparu dans la voix de Jason Tysak. Bien qu’impressionnée, Tamara soutint son regard sans ciller.
— Rien ne m’ébranlera.
— En ętes-vous si sűre ?
D’un long regard, il détailla avec insolence la silhouette de Tamara sanglée dans un élégant tailleur de lainage. Un frémissement d’indignation parcourut la jeune femme quand elle vit un petit sourire trčs masculin se dessiner sur les lčvres de son interlocuteur, qui pressa aussitôt un bouton sur son bureau.
La porte s’ouvrit sur la secrétaire.
— Veuillez reconduire Mlle Rawson, s’il vous plaît. Donnez-lui également une copie des plans de Lancrest Mews.
Cette façon désinvolte de la congédier aprčs l’examen auquel il venait de se livrer provoqua une explosion de colčre chez Tamara.
— Inutile, ils sont gravés dans ma mémoire ! dit-elle en sortant, la tęte haute.
Le rire qui s’éleva dans son dos décupla sa fureur. Cet homme croyait détenir tous les atouts : la fortune, la puissance et la supériorité sexuelle ! Rira bien qui rira le dernier ! se répéta-t-elle pour la dixičme fois en s’installant au volant de sa voiture. Dire qu’elle l’avait comparé ŕ Geronimo ! C’était un sauvage, certes, mais de la plus vile espčce !
Il était trop tard pour retourner ŕ la boutique et elle regagna directement son appartement, situé au rez-de-chaussée d’une grande maison victorienne. Elle l’avait acheté en męme temps que la boutique. Clair et spacieux, il dégageait une atmosphčre qu’elle avait voulu paisible et reposante. Les teintes douces des tissus et des murs lui procuraient toujours une merveilleuse sensation de bien-ętre. Ręveuse, elle contempla une gravure de Londres oů la cathédrale Saint-Paul occupait l’arričre-plan. Une brusque envie de retourner dans la capitale s’empara d’elle.
Elle se détourna en soupirant. Son entourage avait beau lui pręter un tempérament volcanique, la perspective d’une lutte ŕ couteaux tirés ne lui disait rien qui vaille. Elle abhorrait les scčnes et les empoignades. Mais l’injustice aussi l’insupportait et elle avait appris depuis toujours ŕ la combattre. Aprčs s’ętre préparé une tasse de thé, elle s’installa confortablement sur le canapé pour téléphoner ŕ sa mčre, certaine de trouver auprčs d’elle le réconfort dont elle avait besoin.
— Bonjour, maman ! Je suis rentrée de Londres.
— Comment vas-tu, ma chérie ? Tu as fait de bons achats ?
Durant quelques minutes, Tamara partagea avec sa mčre la joie de son séjour londonien. Elle s’imaginait presque dans la grande maison familiale, dans ce lieu oů régnait toujours une ambiance chaleureuse.
— Oů est papa ?
— En visite ŕ domicile, bien sűr ! Je m’inquičte d’ailleurs, car les routes sont trčs mauvaises. Nous avons encore de la neige, tu te rends compte !
Médecin de campagne dans le nord de l’Angleterre, le pčre de Tamara effectuait d’innombrables trajets en voiture pour aller voir ses patients disséminés dans toute la région. Celle-ci, superbe au printemps et en été, se transformait en bourbier de l’automne ŕ la fin de l’hiver. Pourtant, une terrible envie de retourner chez ses parents s’empara de Tamara. Comme elle aurait aimé pouvoir leur confier ses soucis et leur demander conseil ! Malheureusement, ils habitaient trop loin et il n’était pas question de se rendre chez eux pour un ou deux jours ŕ peine. Surtout avec un défilé ŕ organiser et une guerre ŕ préparer !
Elle venait de raccrocher lorsque le téléphone sonna. C’était Roger Hart, le rédacteur en chef du journal local, son chevalier servant attitré.
— Enfin rentrée ! s’exclama-t-il. Ma rédactrice de mode va ętre contente. Attends-toi ŕ la voir dčs demain ŕ la boutique. Elle a préparé un feu roulant de questions sur les tendances de la saison. Je compte sur toi pour lui réserver un bon accueil. Quant ŕ moi, je te consacrerai une page de publicité ŕ un prix trčs avantageux si tu dînes avec moi ce soir.
— Volontiers. J’ai mille choses ŕ te raconter.
— Trois petits mots bien connus me suffiraient, susurra-t-il d’un ton suave.
Tamara affecta de rire, mais elle se rembrunit en raccrochant. Depuis quelque temps, Roger multipliait les avances et cet empressement devenait embarrassant. Lorsqu’elle était mannequin ŕ Londres, Tamara avait appris ŕ se montrer prudente avec les hommes. A l’inverse de la plupart de ses collčgues, elle refusait les aventures sans lendemain. Trčs jeune, elle avait décidé que ce serait le grand amour ou rien. Or, Roger ne lui inspirait rien de plus qu’une solide affection.
Lorsqu’une heure plus tard, elle s’assit face ŕ lui ŕ la table d’un petit restaurant, elle ne put cacher plus longtemps le sujet qui la préoccupait.
— Tu es au courant pour Lancrest Mews, je suppose ? dit-elle, les yeux brillants.
— Si tu as du nouveau, je suis tout ouďe.
— Je pense que Jason Tysak va ajouter les boutiques de Lancrest Mews ŕ son hôtel.
Roger secoua la tęte.
— Impossible. J’ai consulté les plans ŕ la mairie. Le journal a męme publié la demande et l’autorisation de permis de construire sans que personne ne soulčve la moindre objection.
— Evidemment ! Le vieil hôtel tombait en ruine. Il aurait été absurde de protester contre sa rénovation.
— Dois-je en déduire que tu as perdu la raison ? répliqua Roger avec un sourire amusé. Tu ne t’es pas privée d’exprimer ton mécontentement, et tes clientes t’ont emboîté le pas. Nous avons reçu une telle avalanche de courrier sur le sujet que j’ai dű y consacrer une page supplémentaire la semaine derničre.
— Je m’élčve contre la façon dont les choses se passent, c’est tout ! Une fois que les travaux seront terminés, les nuisances disparaîtront, lŕ n’est pas le problčme. En revanche, les projets de Tysak pour Lancrest Mews m’inquičtent terriblement.
— Que veux-tu qu’il fasse ? Il s’agit d’un endroit classé qu’il n’a pas le droit de détruire.
— La façade peut-ętre, mais l’arričre ? La cour représente une immense surface.
— Oů veux-tu en venir au juste ?
— Si j’avais la fortune et l’absence de scrupules de Tysak, poursuivit Tamara, je mettrais les locataires des boutiques ŕ la porte pour récupérer les locaux, que j’abattrais en ne conservant que les façades, et j’installerais un immense complexe hôtelier de luxe.
— Je te répčte qu’il n’y a rien de prévu dans ce sens. D’ailleurs, Lancrest Mews n’appartient męme pas ŕ Tysak ! Il ne possčde que l’hôtel.
Tamara décida qu’il était grand temps de lâcher sa bombe.
— Détrompe-toi ! Il vient d’acquérir Lancrest Mews. Nous devons tous quitter les lieux d’ici la fin du mois, le temps de ravaler les façades, paraît-il. Curieusement, aucune date n’a été fixée pour le renouvellement des baux et, depuis deux jours, des architectes et des experts arpentent la cour pour prendre des mesures.
Satisfaite de sa tirade, Tamara défia son interlocuteur du regard. Roger reposa lentement ses couverts et la contempla avec attention. Dans ses yeux, brillait une petite flamme qu’elle reconnut sans peine : celle du journaliste ŕ l’affűt d’une nouvelle susceptible de faire sensation. Il mordait enfin ŕ l’hameçon ! songea-t-elle avec un sentiment de triomphe. S’il y avait réellement un scandale ŕ découvrir, il s’en chargerait sans l’ombre d’une hésitation.
Tamara se retint cependant de crier victoire. Il ne s’agissait que d’un début, aprčs tout, męme s’il semblait fort prometteur... 

Chapitre 2 : page 1

Le lendemain, en milieu de matinée, Roger fit irruption ŕ la boutique pour mener son enquęte. Dčs qu’il aperçut l’architecte et ses acolytes dans la cour, il quitta Tamara pour engager la conversation avec eux. La jeune femme les observa du coin de l’śil. Au fur et ŕ mesure que l’entretien se prolongeait, elle sentait son excitation grandir.
— Alors ? s’exclama-t-elle quand Roger la rejoignit enfin. Quelles nouvelles ?
Il secoua la tęte.
— Aucune, hélas. Je n’ai pas la moindre petite parcelle d’information susceptible de corroborer tes dires. Soit on a ordonné au personnel de Tysak Holdings de tenir sa langue, soit je perds mon doigté.
— Le personnel a sűrement reçu des consignes sévčres.
— Sans doute. J’ai bien envie d’écrire un article qui forcera Tysak ŕ se découvrir.
Le visage de la jeune femme s’illumina. Roger proposait exactement ce qu’elle espérait. Le journal paraissait le vendredi. D’ici deux jours, elle savourerait la déconvenue de l’adversaire...
Aprčs le déjeuner, elle décida de passer ŕ l’action avec ses clientes, notamment auprčs de Mme Prost qui possédait une redoutable influence dans la ville.
— Je me demande comment vous supportez ce bruit et cette poussičre ! s’exclama celle-ci tout en jetant un coup d’śil sur le rayon des pantalons.
Tamara eut un haussement d’épaules désabusé.
— De toute façon, cela ne nous dérangera plus trčs longtemps. Nous devons tous déménager ŕ la fin du mois.
— Déménager ? Comment ça ?
Lancrest Mews représentait pour ainsi dire le quartier général de Mme Prost. Elle y retrouvait ses amies et répandait ses commérages tout en satisfaisant son besoin effréné d’achats.
— Tysak Holdings a racheté les maisons, expliqua Tamara. Et comme nos baux expirent ŕ la fin du mois... Oh, bien sűr, nous ne serons pas ŕ la rue. On nous a proposé des locaux provisoires dans la galerie marchande de Charles Street.
— Charles Street ! Seigneur, quelle horreur ! C’est l’un des pires quartiers de la ville. Combien de temps y resterez-vous ?
— C’est bien lŕ le problčme. Nous sommes censés réintégrer Lancrest Mews assez vite, mais personne ne connaît les véritables intentions de Tysak Holdings.
— Le site est classé.
— La façade seulement. Qui sait ce qu’il adviendra du reste...
Cette nouvelle causa un tel choc ŕ Mme Prost que, phénomčne inouď, elle saisit son sac et quitta la boutique sans un mot d’adieu. Tamara jubila. Mme Prost, elle en était sűre, se chargerait de répandre la rumeur sans tarder. Aux anges, la jeune femme se mit ŕ fredonner en se préparant du thé. D’ici peu, de sérieux remous agiteraient la petite ville. Il y aurait une véritable levée de boucliers contre Jason Tysak, qui ne l’avait pas volé !
Le lendemain, la boutique ne désemplit pas et męme si aucune cliente ne repartit les mains vides, Tamara comprit bien ce qui sous-tendait cette subite affluence. Toutes les femmes des notables de la région semblaient s’ętre donné rendez-vous chez Impressions. Le bouche ŕ oreille fonctionnait ŕ merveille.
Prudente, la jeune femme prit soin de ne pas intervenir dans les conversations, se contentant d’un petit sourire entendu par-ci par-lŕ et d’une moue sceptique de temps ŕ autre. A la fin de la journée, elle savait pouvoir compter sur une véritable armée de partisanes.
Le vendredi, jour de parution du journal, Tamara se jeta sur l’article de Roger. Quand il le voulait, celui-ci possédait une plume redoutable et le titre accrocheur laissait présager un Roger au mieux de sa forme.
« Quel est l’avenir de notre patrimoine edouardien ? Lancrest Mews, joyau de notre ville, vient d’ętre racheté par Tysak Holdings. Interrogé ŕ ce sujet, le conseil municipal est resté évasif. Or, l’hôtel du Vieux Manoir, autre acquisition récente de Tysak Holdings, se trouve ŕ l’extrémité de Lancrest Mews. S’agit-il vraiment d’une coďncidence ? Il est temps que Tysak Holdings apaise nos inquiétudes en nous dévoilant les véritables objectifs de son entreprise... »
L’article se poursuivait dans la męme veine. Tamara en savoura chaque mot avec délices. Un encadré présentait deux photographies juxtaposées : l’une de Lancrest Mews prise un sičcle auparavant, l’autre datant de l’année précédente. Suivait un troisičme cadre, blanc, ponctué d’un énorme point d’interrogation.
Hilare, Tamara reposa le journal. Jason Tysak manquerait de s’étrangler en lisant cet article. Avec un peu de chance, il se verrait bientôt contraint de renoncer ŕ ses projets...
La pluie tomba sans discontinuer toute la journée. C’était tout juste si l’on pouvait distinguer le parc ŕ travers le déluge. Les fenętres ruisselaient et, bien avant l’heure de la fermeture, il faisait presque nuit dans la boutique. Le temps n’incitant gučre la clientčle ŕ se déplacer, Tamara autorisa Janet ŕ rentrer chez elle de bonne heure.
Si les intempéries continuaient, on aurait bientôt ŕ souffrir des inondations. Car avec la fonte des neiges, qui venait s’ajouter aux pluies diluviennes des derniers jours, le niveau des rivičres avait déjŕ dépassé la cote d’alerte.
Aprčs le départ de Janet, Tamara s’attela ŕ la comptabilité. Grâce ŕ la campagne menée contre Jason Tysak, les affaires marchaient bien et la pluie n’aurait pas d’incidence grave sur le chiffre d’affaires. Elle travaillait depuis un quart d’heure lorsque la sonnerie de la porte de la boutique lui fit lever la tęte. Pour braver les éléments ŕ cette heure indue, il devait s’agir d’une cliente désespérée !

 

Son cśur fit un bond dans sa poitrine lorsqu’elle reconnut Jason Tysak. Sanglé dans un imperméable clair dont il avait relevé le col, il ruisselait de la tęte aux pieds. De toute évidence, la traversée du parc n’avait pas amélioré son humeur qui, ŕ l’image du temps, semblait exécrable.
Tamara devina sans mal la raison de sa fureur, d’autant qu’il brandissait un journal dégoulinant. Il s’avança d’un air si menaçant qu’elle dut faire appel ŕ tout son courage pour ne pas courir s’enfermer ŕ triple tour dans la remise.
— C’est ŕ vous que l’on doit ce que publie ce torchon, j’imagine ! lança-t-il, une lueur meurtričre au fond des yeux.
— Je ne suis pas journaliste.
Déterminée ŕ ne rien laisser paraître de sa frayeur, elle redressa le menton. Les yeux noirs de son interlocuteur s’étrécirent dangereusement lorsqu’il s’approcha encore.
— Certes ! Mais vous ętes un danger public, et quelqu’un de particuličrement mal informé, par-dessus le marché. Mon téléphone n’a pas cessé de sonner aujourd’hui ŕ cause de ce maudit article. J’ignore comment vous avez manśuvré, mademoiselle Rawson, mais je n’ai pas oublié vos menaces et je sais trčs bien que c’est vous qui ętes derričre tout ça !
Heureusement qu’il ne savait rien de la campagne sournoise qu’elle menait auprčs de ses clientes ! Elle frissonna en imaginant sa réaction le jour oů il l’apprendrait... s’il l’apprenait un jour.
— Les gens ont le droit d’ętre informés sur ce qui se trame dans leur ville, ŕ leur nez et ŕ leur barbe.
— Il ne se trame rien ! Maintenant, écoutez-moi bien : si j’avais su que vous étiez une paranoďaque doublée d’une hystérique, jamais je ne me serais donné le mal de vous trouver des locaux provisoires. Rien ne m’y obligeait, je vous signale, et je songe sérieusement ŕ tout annuler, quitte ŕ ce que vous soyez réduite ŕ vendre votre camelote sur les marchés !
— Avant d’en arriver lŕ, je ferais un détour par le journal, riposta-t-elle sans hésiter. Vos menaces fourniront matičre ŕ un deuxičme article qui passionnera les lecteurs autant que le premier, croyez-moi.
— Cessez de me mettre des bâtons dans les roues ! tonna-t-il. Je veux bien passer l’éponge pour aujourd’hui, mais si vous persistez, soyez sűre que je vous mčnerai la vie dure !
Plaquant violemment les deux mains sur le bureau, il pencha sur elle un visage féroce. Tamara tint bon malgré sa panique.
— N’essayez pas de m’intimider, cela ne marche pas ! Moi aussi, je peux vous rendre l’atmosphčre irrespirable.
— Ah bon ?
Il fouilla son regard avec une telle froideur que la jeune femme sentit ses jambes faiblir.
— Une bonne partie de la population est derričre moi, murmura-t-elle.
— Et c’est lŕ qu’elle restera quand vous serez en premičre ligne : derričre vous !
Sur ces entrefaites, il partit aussi brusquement qu’il était venu. Pétrifiée, Tamara...

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