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Diana la Rebelle
de Marlene Suson

Chapitre 1: Page 1

Sa Grâce le duc de Stratford avait résolu de prendre femme.

Rendue publique, cette nouvelle n'aurait pas manqué de susciter dépit et curiosité parmi la haute société londonienne. Dépit d'abord pour nombre de mčres en quęte du gendre idéal, qui verraient ainsi l'oiseau rare leur échapper, curiosité ensuite car le futur marié n'avait manifestement aucun désir de se ranger, bien au contraire. Nanti d'un titre prestigieux, Sa Grâce se savait fort convoitée... et profitait de la situation. Ses innombrables liaisons affichées au grand jour alimentaient la chronique mondaine depuis des années. Aussi ce coup de théâtre causerait-il des remous dans cet univers, donnant aussitôt lieu aux supputations les plus diverses : Qui diable Alexander épousait-il ?

Question ŕ laquelle le principal intéressé lui-męme eűt été bien en peine de répondre.

Une demi-heure plus tard aprčs que le duc eut pris cette grave décision ; son frčre cadet lord Charles Hadleigh était par hasard de passage au château. Il trouva Sa Grâce dans ses appartements privés, assise derričre son grand bureau Louis XV, l'air sombre.

Venu prier Alexander d'éponger de malencontreuses dettes de jeu, lord Charles fut si surpris par la mine préoccupée de son aîné qu'il en oublia le but initial de sa visite.

– Un problčme ? interrogea-t-il en s'asseyant. Tu ne sembles pas dans ton assiette.

C'était un euphémisme. Mal rasé, habillé ŕ la va-vite, ses cheveux bruns en bataille, son frčre ne ressemblait en rien ce matin au séducteur tiré ŕ quatre épingles qui chavirait les cśurs. Des ombres violettes cernaient ses yeux gris, d'ordinaire pétillants de vivacité. Męme son ordre légendaire était pris en défaut : un monceau de dossiers et de vieux journaux s'accumulaient devant lui.

– Alors ? insista lord Hadleigh. Que se passe-t-il ?

– Je me marie, annonça bričvement Alexander, lugubre.

– Quoi ? !

Eberlué, Charles mit plusieurs secondes ŕ reprendre ses esprits. Apprendre que son frčre entrait au séminaire ne l'eűt pas davantage ébranlé.

– A... avec qui ? bredouilla-t-il enfin. Pas avec cette...

Cette peste d'Angela Bradwell, faillit-il ajouter, emporté par son élan. Mais il se contint avant d'avoir injurié la favorite du duc.

– Non, pas avec Angela, confirma fermement Sa Grâce.

Charles réprima un soupir de soulagement. Aussi belle soit-elle, Angela ne lui plaisait pas et, ŕ la réflexion, il coulait de source qu'Alexander n'avait jamais envisagé d'introduire semblable brebis galeuse dans la famille. Si l'apparente nonchalance du jeune homme pouvait abuser certains, Charles le connaissait suffisamment pour savoir combien ses responsabilités ŕ la tęte de la dynastie Hadleigh lui tenaient ŕ cśur. Angela était parfaite dans son rôle de maîtresse. La future duchesse de Stratford, elle, se devait d'ętre irréprochable tant par le sang que la conduite.

– Contrairement ŕ ce que suggčre son prénom, Angela n'a rien – vraiment rien – d'angélique, enchaîna Sa Grâce avec mépris. Elle est égoďste, vaniteuse, excentrique... incapable de tenir efficacement une maison ! Ce serait une épouse exécrable et une mčre plus indigne encore...

Il marqua une courte pause avant d'achever son réquisitoire :

– Les enfants l'ennuient. A peine seraient-ils nés qu'elle s'en déchargerait auprčs des nurses. Non, je n'infligerai pas une mčre pareille ŕ mes descendants.

Charles s'agita sur son sofa.

– Dans ce cas, qui est la promise ?

– Je ne sais pas.

– Tu te moques de moi, Alex !

Rares étaient les privilégiés qui pouvaient user de ce diminutif sans se voir rabrouer vertement. Cependant, nul ne songeait ŕ contester l'autorité de Sa Grâce. Sa bravoure, son esprit de décision, étaient unanimement reconnus. Le fait qu'Elle excellât dans tous les sports et dédaignât l'escorte de gardes armés contribuait largement ŕ sa réputation d'invincibilité.

Le duc pouvait passer sans transition de la plus exquise amabilité ŕ une froideur paralysante. Esthčte-né, perfectionniste impénitent, il passait pour avoir un caractčre ombrageux et l'on redoutait sa clairvoyance tout autant qu'on louait son goűt trčs sűr. La fierté de l'avoir ŕ sa table n'allait pas sans appréhension : satisfaire ce fin gourmet n'était pas chose aisée.

Charles, lui, connaissait son frčre sous un jour fort différent. La générosité, le dévouement et – contre toute attente – la fidélité, étaient des facettes de son caractčre que seuls ses intimes avaient l'occasion d'apprécier. Abhorrant la flagornerie, il traitait les courtisans ŕ leur juste valeur mais n'hésitait pas ŕ soulever des montagnes pour défendre les opprimés.

– Cesse de me faire languir, Alex. Qui est l'heureuse élue ?

– Si seulement je le savais...

Le duc se pencha pour humer les effluves de roses thé disposées dans un vase en cristal. Amateur de fleurs, il s'en faisait livrer en toute saison...

– Ma seule exigence sera qu'elle possčde une fortune substantielle.

Connaissant l'aversion de son frčre pour les coureurs de dot, Charles manqua s'étrangler.

– Nous sommes endettés jusqu'au cou, poursuivait le jeune homme. Pour éviter la ruine, il ne me reste qu'une solution : convoler en justes noces avec une riche héritičre. Mon titre contre son argent. Donnant, donnant.

Le dégoűt qui perçait dans sa voix rassura Charles. Alexander n'était pas devenu cynique, ses paroles allaient contre sa nature profonde. Déchiré entre ses responsabilités et sa répulsion de recourir ŕ des méthodes condamnables, il se sacrifiait pour l'honneur de la dynastie.

Hostile lui aussi aux mariages arrangés, Charles s'employa néanmoins ŕ dédramatiser la situation.

– Pourquoi fais-tu cette tęte d'enterrement ? Dans notre milieu la majorité des hommes se marient par intéręt. Une bonne épouse doit...

– Une bonne épouse doit avant tout se dévouer ŕ son mari et ŕ ses enfants. Pour ma part, je préférerais mille fois une femme aimante et démunie plutôt que riche et frivole.

Charles opina, perplexe. Aimante, avait dit Alex. Mais que connaissait-il au juste de l'amour, lui qui abandonnait ses maîtresses comme un enfant se débarrasse d'un jouet dont il ne veut plus ? Blondes, brunes, rousses se succédaient dans ses bras au gré de sa fantaisie, mais aucune ne pouvait s'enorgueillir de rester gravée dans sa mémoire. Męme l'attrait de la conquęte lui était inconnu : les beautés londoniennes se plaçaient d'elles-męmes sur son chemin. A trente-trois ans, le séduisant duc de Stratford avait brisé bien des cśurs sans jamais souffrir en retour.

Plus trapu, moins magnétique que son aîné, lord Hadleigh aurait pu prendre ombrage de ses succčs féminins. Il n'en était rien. Depuis l'enfance, Charles vénérait ce frčre si gâté par la nature et lui vouait une sincčre affection. Pourtant, il n'aurait pas été fâché qu'au moins une fois dans sa vie, Alexander connaisse l'affront d'ętre repoussé par une femme. Vśu purement utopique jusqu'ŕ présent...

– Je croyais que tu appréciais davantage la beauté et la sensualité que la douceur ou l'intelligence, fit-il remarquer plus prosaďquement.

Sa Grâce haussa les épaules.

– Les qualités d'une maîtresse ne sont pas celles d'une épouse. Ma femme devra diriger le personnel et s'occuper de nos enfants, pas s'exhiber dans les lieux ŕ la mode. Libre ŕ moi de chercher l'exaltation physique ŕ côté du mariage.

– Eh bien, je plains d'avance la malheureuse, murmura Charles.

– Pourquoi ? Je serai aimable, attentionné. Elle ne manquera de rien.

– Sauf de ton amour.

Une flamme amusée dansa dans ses prunelles grises.

– Elle m'aura moi. Ce n'est déjŕ pas si mal, que je sache !

Désarmé, Charles préféra changer de sujet.

– Ainsi, l'état de nos finances est préoccupant. Je présume que mes dettes de jeu ne sont pas étrangčres ŕ ces difficultés.

Alexander le gratifia d'un sourire amical.

– Mais non, Charlie, inutile de te culpabiliser. J'ai moi aussi ma part de responsabilité. Le jeu est ta faiblesse, les femmes sont la mienne.

C'était vrai. Les somptueux colliers d'émeraudes, de rubis ou de diamants arborés fičrement par d'anciennes toquades attestaient de sa générosité...

– Assez parlé de moi, déclara le duc en s'appuyant contre son dossier. Quels sont tes projets immédiats ?

– Rien d'extraordinaire... Je dîne avec Gilfred Sillsby demain soir. Il s'est spécialisé dans la chasse aux dots. Pas une riche héritičre d'Angleterre n'a échappé ŕ ses assiduités.

– Sapristi, Charlie, comment peux-tu sympathiser avec cet assommant personnage ? Vous n'avez aucune affinité, Dieu merci !

– Figure-toi que le cher homme serait sur le point de contracter le mariage du sičcle. Lors de notre derničre rencontre, il m'a assuré que les fiançailles n'étaient plus qu'une question de jours. Selon Sillsby, sa future épouse aurait passé l'âge de faire la fine bouche. Elle accepterait n'importe quelle proposition et a fortiori – je cite – celle d'un bel homme comme lui !

– Toujours aussi modeste, je vois ! railla Alexander. Chauve, bedonnant, engoncé dans un habit ridicule dont un manant ne voudrait pas ! Ajoutez ŕ cela des dents gâtées et des yeux de fouine... Bel homme en vérité !

– Il est trčs imbu de sa personne, confirma Charles, amusé. Mais apprendre en priorité l'identité de sa promise vaut bien un petit sacrifice ! Il se refuse ŕ dévoiler son nom avant que les fiançailles ne soient officielles. Ce doit ętre chose faite maintenant... A propos, pourquoi ne m'accompagnerais-tu pas ?

– Je ne peux pas souffrir Sillsby.

– Il te serait pourtant utile, je t'assure. Il est capable de t'énumérer toutes les héritičres du Royaume-Uni et l'étendue de leur fortune au shilling prčs. Dans ta situation ce n'est pas négligeable... En prime, nous saurions sur quelle innocente victime il a jeté son dévolu.

Page 2

Il ne faut pas vendre la peau de l'ours... Gilfred Sillsby devait longtemps méditer le proverbe.

De retour ŕ Londres aprčs une semaine passée ŕ Greycote dans la propriété de lord Landane, il ne se remettait pas de l'affront que lui avait infligé Diana, la fille de son hôte. L'héritičre docile dont il comptait accaparer la fortune.

Landane, qui résidait dans la capitale tandis que sa fille vivait ŕ Greycote, avait accompagné Sillsby ŕ la campagne avec la ferme intention d'y conclure le mariage. C'était compter sans la perspicacité de Diana. A peine arrivés, les deux hommes eurent la surprise de la trouver en compagnie de Mary Prentice, la fille d'un pasteur qui avait longtemps officié dans une paroisse voisine. D'abord déconcerté, Sillsby décida cependant de persister dans ses plans. Plus tôt ses fiançailles seraient arrętées, mieux cela vaudrait. Mais avec Mary accrochée ŕ ses basques, approcher la jeune fille relevait de la gageure.

En désespoir de cause, lord Landane dut ordonner ŕ sa fille d'accorder un entretien privé ŕ leur invité pour qu'il puisse enfin faire sa demande.

Sillsby n'était pas pour autant au bout de ses peines. Loin de s'évanouir de joie ŕ l'idée de l'épouser – ainsi qu'il l'avait pronostiqué – Diana lui opposa un refus catégorique. Compliments alambiqués, genou ŕ terre, supplications... Rien n'y fit. L'effrontée poussa l'impertinence jusqu'ŕ lui rire au nez.

Le prétendant éconduit en resta confondu. Ainsi, cette petite oie refusait un nom que des milliers d'autres femmes ręvaient de porter un jour !

Un seul élément le consola : l'oie en question n'avait vraiment rien pour elle en dehors de ses deniers. De ses cheveux filasse ŕ ses yeux éteints en passant par sa toilette défraîchie, tout en Diana était fade. Insipide.

Quelque peu rasséréné, il se remémora le portrait de la défunte lady Landane suspendu dans le vestibule. Inimaginable. Oui, inimaginable qu'une pareille merveille ait pu engendrer une fille au physique aussi ingrat.

Sillsby aurait sans doute frisé l'apoplexie s'il avait pu voir Diana en cet instant, tant sa ressemblance avec sa mčre était frappante. La comparaison tournait cependant ŕ l'avantage de la fille. Assise devant la coiffeuse, elle lissait la somptueuse cascade de ses boucles blondes qui se déroulait jusqu'ŕ ses reins. Ses joues possédaient la fraîcheur et la délicatesse d'un pétale de rose.

Quand Mary Prentice pénétra dans la chambre, les yeux myosotis de Diana étincelčrent dans son visage mobile.

– Assieds-toi prčs de moi, Mary, la pria-t-elle en lui désignant un fauteuil.

La jeune fille s'exécuta avec un évident plaisir.

– Quelle joie de retrouver la vraie Diana ! s'exclama-t-elle. Je n'ai jamais compris comment tu pouvais supporter ce déguisement. Cette affreuse poudre jaune te donne un teint glauque et, ainsi aplatis, tes cheveux perdent leurs reflets dorés !

– Et tu n'as pas tout vu ! renchérit gaiement son amie. Regarde cette substance grisâtre, je m'en sers pour dessiner des cernes sous mes yeux... Le résultat est ŕ s'y méprendre !

– Voilŕ donc le secret de ton éternelle mine défaite ! Oh, Diana, tu es incorrigible !

Tout en parlant, Mary considéra avec commisération la toilette vieillotte de sa compagne. Ironie du sort qu'une des plus riches héritičres d'Angleterre ne puisse pas acquérir une garde-robe décente. Certaines filles du peuple étaient mieux vętues qu'elle...

Un fait trčs simple expliquait cette aberration : seul le mariage conférerait ŕ Diana le droit de disposer de son immense fortune. Ainsi en avait décidé sir John Wakely, grand-pčre maternel de la jeune fille, par le biais de son testament.

Si cette étrange clause donnait au vieil homme l'assurance que lord Landane – son gendre tant haď – ne dépenserait pas un penny, elle présentait l'inconvénient majeur de rendre Diana tributaire de son pčre dont les propres finances étaient pour le moins précaires. Celui-ci n'avait qu'une idée en tęte : accorder la main de sa fille au premier venu en se faisant rétrocéder une partie du fabuleux héritage.

– Je suis surprise que ton aďeul n'ait pas pensé ŕ t'allouer une rente annuelle jusqu'ŕ ce que tu prennes possession du reste, déclara Mary. Cela t'aurait au moins permis de parer ŕ tes menus frais sans recourir chaque fois au bon vouloir de ton pčre.

– Justement. Grand-pčre a agi en connaissance de cause.

Son amie leva les sourcils.

– Comment cela ?

– Il voyait d'un mauvais śil mon aversion pour le mariage. Connaissant ma soif d'indépendance, il s'est dit que le meilleur moyen de me pousser ŕ prendre époux était de me placer pieds et poings liés sous le joug de mon pčre. De cette façon je finirais par me décider ŕ convoler... Mais, hélas pour lui, son habile stratégie a échoué. J'ai réussi ŕ évincer tous mes prétendants ! acheva-t-elle, rieuse.

– Ton affreuse panoplie y est pour beaucoup, fit remarquer Mary en contemplant une paire de lunettes ŕ verres épais, autre accessoire d'enlaidissement utilisé par Diana.

– C'est vrai. La plupart ont fui sans demander leur reste... sauf Sillsby !

– Dieu sait pourtant qu'il t'a trouvée repoussante ! Son expression déconfite en disait long sur sa déception.

– Cela ne l'a pas empęché de m'abreuver de compliments grotesques. Ah, ah, je l'entends encore vanter mon inégalable beauté !...

Contrefaisant la voix nasillarde de Gilfred Sillsby, elle déclama d'un ton mielleux :

– Chčre, chčre Diana, je ne saurais trop vous dire combien vos charmes m'ont troublé dčs le premier regard ! Votre teint surtout est... hors du commun !

– Hors du commun en effet ! s'esclaffa Mary. Tes joues avaient la teinte du soufre !

Jusqu'ŕ présent, la jeune fille croyait que, traumatisée par l'échec matrimonial de sa propre mčre, Diana s'imaginait tous les hommes ŕ l'image de lord Landane et exagérait les défauts de ses prétendants. Aprčs avoir vu Sillsby elle n'en était plus si sűre.

– Le clou a été la demande en mariage ! poursuivait Diana. Figure-toi ce gros balourd ŕ genoux, la main sur le cśur, en train de roucouler : « Trčs chčre amie, vous feriez de moi le plus heureux des hommes en acceptant de devenir mon épouse bien-aimée ! » Au fond, il n'avait pas tort : cette union ferait de lui le plus fortuné des hommes... dans les deux sens du terme !

– Et que lui as-tu répondu ?

– Rien ! J'ai éclaté de rire. Alors, il est monté sur ses grands chevaux et m'a juré de m'épouser avec ou sans mon consentement puisque mon pčre avait donné son accord. Ce ŕ quoi j'ai riposté qu'il oubliait un détail d'importance : le testament de mon grand-pčre stipule que ma fortune ne me sera léguée que si Stanley Pearce, son homme de confiance, donnait son agrément ŕ mon mariage. J'ai donc dit ŕ Sillsby qu'il se faisait des illusions s'il pensait obtenir sa bénédiction. Pearce n'apprécie gučre les chasseurs de dot.

– Mais dans ce cas, ŕ quoi bon t'enlaidir ? objecta Mary. Cette clause te met ŕ l'abri.

– En partie seulement. Les énergumčnes du genre de Sillsby n'ont aucune chance car ils ne savent pas cacher leur jeu. Mais je redoute toujours qu'un homme plus habile ne parvienne ŕ tromper Pearce. Une fois son accord donné, je ne pourrai gučre me dérober.

– Peut-ętre rencontreras-tu quelqu'un que tu désireras épouser de ton propre chef ?

– Jamais !

Les yeux bleus de Diana lancčrent des éclairs.

– Jamais je ne laisserai un homme briser ma vie comme mon pčre a détruit celle de maman.

Mary n'éprouvait que peu de sympathie pour la défunte lady Landane. Aussi superficielle que ravissante, elle n'aima jamais l'époux imposé par sa famille. S'il était vrai que leur mariage fut désastreux, en imputer la complčte responsabilité ŕ lord Landane aurait été injuste. Aux dires de tous ceux qui approchčrent le couple, les torts étaient partagés. Mais Diana, elle, n'entendit qu'un son de cloche. Jérémiades cent fois répétées durant son enfance...

Etablie ŕ Greycote avec sa mčre tandis que son pčre résidait en permanence ŕ Londres – ignorant femme et enfant – la jeune Diana ne devait changer d'univers qu'au cours de son adolescence, lorsque lady Landane résolut de s'installer en Suisse.

Plus tard, de retour en Angleterre, toutes deux vécurent chez sir John Wakely oů Diana demeura aprčs la mort de sa mčre jusqu'au décčs du vieil homme voilŕ quatre ans. Lord Landane et sa fille unique seraient donc restés de parfaits étrangers si le testament d'un vieillard rusé ne les avait contraints ŕ cohabiter – ŕ leur grand déplaisir mutuel. Depuis quelque temps, lord Landane avait repris ses habitudes londoniennes alors que Diana faisait de Greycote sa résidence principale. Grâce au ciel, elle était aussi aimée des villageois que son pčre en était haď. Personne n'avait jugé bon de rapporter au maître des lieux les surprenantes métamorphoses de sa fille.

– Si ton déguisement a tant d'importance, pourquoi l'avoir enlevé alors que ton pčre et Sillsby sont encore lŕ ? interrogea Mary.

Diana sourit.

– Ils partent ce matin et j'ai pris la précaution de leur faire mes adieux hier soir. En demandant ma main, Sillsby s'est arrangé pour placer dans la conversation qu'il dînait ce soir avec lord Charles Hadleigh, le frčre du duc de Stratford. Sans doute pensait-il que le nom de Stratford m'impressionnerait favorablement. Il ne pouvait deviner que je trouve cet individu détestable.

– Détestable ? On le dit pourtant irrésistible.

– Quand il consent ŕ s'en donner la peine... ce qui n'a pas été le cas avec moi. Dieu merci, je n'ai eu que peu d'occasions de le rencontrer. Assez cependant pour savoir qu'il me déplaît souverainement.

Mary se leva.

– C'est ŕ mon tour de te quitter. Tu sais combien j'aimerais rester avec toi mais voilŕ plusieurs fois que ma tante me renouvelle son invitation ŕ Bath. Je ne peux vraiment plus me désister.

Diana lui prit les mains et les serra avec effusion.

– Je ne te remercierai jamais assez de m'avoir aidée ŕ éloigner Sillsby. Je crains que Mme Cottam ne me soit d'aucune utilité dans ce genre de situation.

– Ni dans aucune autre d'ailleurs, acquiesça Mary avec une pointe de perfidie.

Elle jugeait ennuyeuse le chaperon de Diana, une veuve insignifiante qui s'évanouissait pour un rien et prętait une importance démesurée aux ragots.

– Ne pourrais-tu pas trouver une autre compagnie ?

Cette suggestion horrifia Diana.

– Mais elle est seule et sans ressources ! Par ailleurs, elle n'a pas un mauvais fond, męme s'il est vrai que sa compagnie n'est gučre divertissante.

– Tu ne t'ennuies jamais ?

– Si, concéda la jeune fille. Surtout depuis que mes meilleurs amis sont partis. Tes parents et toi avez déménagé ; Elisabeth Whorton que je considérais comme ma sśur a quitté la région pour se marier... Elle a deux petites filles maintenant. Sa chčre maman est décédée l'année derničre mais il me reste son pčre et son frčre George. Je peins aussi beaucoup.

– Ton pčre te rend-il souvent visite ?

– Une fois par an en été et encore. Sa venue au beau milieu de janvier m'aurait laissée pantoise si je n'en connaissais pas la raison...

Elle adressa une grimace complice ŕ Mary qui lui sourit en retour.

– Espérons qu'il n'aura pas d'autres fiancés potentiels ŕ te présenter pendant mon séjour ŕ Bath. Cette fois, je ne pourrais pas voler ŕ ta rescousse.

– Sois tranquille, il ne remettra pas les pieds ici avant juillet. Le charmant homme n'a d'ailleurs pas pris de gants pour me dire combien notre séparation le réjouissait.

Chapitre 2: Page 1

Lorsque ses invités arrivčrent, Gilfred Sillsby eut un haut-le-corps ŕ la vue du duc de Stratford. Car si le dîner prévu pouvait satisfaire lord Hadleigh qui s'accommodait de peu, il risquait fort de heurter le fin palais de Sa Grâce dont les goűts épicuriens étaient connus de tous.

Fébrile, Sillsby ordonna discrčtement une révision du menu, provoquant un véritable branle-bas de combat dans les cuisines. Puis il envoya un serviteur chercher son meilleur cru millésimé ŕ la cave et invoqua mentalement la protection du ciel afin que le repas se déroulât sans anicroche. Si tel était le cas, un désinvolte : « Je disais l'autre soir au duc de Stratford venu souper chez moi... », glissé dans la conversation, ne manquerait pas d'impressionner favorablement la prochaine héritičre qu'il courtiserait : chacun savait que, sur dix invitations reçues, Sa Grâce n'en agréait qu'une – dans le meilleur des cas.

Cette agréable perspective ne le rassura cependant qu'ŕ moitié et ce fut avec l'enthousiasme d'un condamné ŕ la guillotine qu'il précéda les deux hommes dans la salle ŕ manger.

Charles leva son verre.

– Trinquons-nous ŕ vos fiançailles ?

Sillsby blęmit d'indignation en se remémorant la façon cavaličre dont on l'avait éconduit.

– Non, glapit-il. Je ne suis pas fiancé.

– Mes condoléances, fit sčchement le duc, levant ŕ son tour son verre.

Blessé dans son amour-propre, leur hôte s'empressa d'ajouter avec un ricanement forcé :

– Des félicitations seraient davantage de circonstance. Je l'ai échappé belle.

– Pourquoi donc ? N'était-elle pas riche ?

– Oh, si, si... riche comme Crésus au contraire ! Cent mille livres de rente annuelle, d'aprčs mes sources.

Alors qu'une lueur intéressée naissait au fond des yeux gris d'Alexander, son frčre émit un sifflement admiratif.

– Je suis surpris qu'avec une pareille fortune ŕ la clé, personne n'ait encore songé ŕ l'enlever !

Sillsby eut une moue entendue.

– Vous comprendriez mieux si vous la voyiez. Ni beauté, ni éclat... rien !

Dans sa hargne, il avala une pleine cuillerée de potage et faillit s'étrangler d'horreur tant le goűt en était insipide. Un bol d'eau chaude n'aurait pas été plus fade...

Cette fâcheuse constatation décupla sa fureur.

– Par ailleurs, cette petite dinde n'est plus de prime jeunesse ! enchaîna-t-il sur sa lancée. A vingt-quatre ans, les beaux partis comme moi doivent se faire rares. Croyez-vous qu'elle m'ait été reconnaissante ? Pas du tout ! Elle a eu le front de me rire au nez !

– Rire, dites-vous ? Qui est donc cette infâme créature ?

Si Sillsby crut déceler une note de raillerie dans son intonation, il prit soin de n'en laisser rien paraître.

– La fille de lord Landane, répondit-il du bout des lčvres.

– Comment, la fille d'un baron sans le sou a eu l'outrecuidance de se moquer de vous ?

Cette fois, plus de doute : le duc le tournait bel et bien en ridicule. Trčs mal ŕ l'aise, Sillsby entreprit de donner le change en ordonnant au maître d'hôtel de débarrasser l'assiette semi-pleine de son auguste invité et d'apporter le plat suivant. Une sole calcinée fut avancée. Alexander daigna goűter une bouchée... Son expression fut plus éloquente que des mots.

Reposant sa fourchette, il but une gorgée de bordeaux qui, seul, paraissait trouver grâce ŕ ses yeux.

– Vous nous parliez d'une riche héritičre, insista-t-il. Or, lord Landane est sur la paille.

– Certes, mais la fille tient son immense fortune de son grand-pčre maternel, sir John Wakely.

– Le banquier personnel de la Couronne, murmura Sa Grâce. Il roulait sur l'or, en effet. Comment diable Landane peut-il ętre fauché avec semblable héritage ?

– Il n'y a pas accčs...

Sillsby relata bričvement les termes du testament avant de conclure :

– Non seulement lady Diana doit se marier pour toucher son argent mais elle doit obtenir préalablement l'accord de Stanley Pearce.

– Wakely a laisssa petite-fille en de bonnes mains, assura le duc, approbateur. Le vieux Pearce est un fin psychologue... Ainsi donc, Landane vous laissait sa fille en contrepartie d'un fort pourcentage de la fortune. A malin, malin et demi.

Contrarié de voir découvert le pot aux roses, Sillsby s'agita dans son fauteuil.

– C'est une des raisons qui le poussaient ŕ m'accorder sa main, concéda-t-il enfin de mauvaise grâce.

Un vol-au-vent succéda ŕ la sole. Impassible, le duc regarda son hôte s'acharner ŕ le découper. De toute évidence, une scie eűt été plus adaptée qu'un couteau d'argent...

– Peut-on savoir quelle est l'autre raison ?

– Il souhaite se remarier avec lady Isabel Owsley et voudrait avoir le champ libre ŕ Greycote.

Alexander sursauta.

– Lady Owsley ? Mais elle est plus jeune que la propre fille de Landane !

– Je ne vous le fais pas dire... Quoi qu'il en soit, notre lascar est en extase devant cette petite.

– Il fera une mauvaise affaire sur tous les plans, déclara Sa Grâce. En tant que benjamine de la famille, sa dot sera ridicule et ses extravagances porteront tort ŕ son époux.

– As-tu déjŕ rencontré cette miss Landane, Alex ? interrogea Charles.

– Je n'en ai aucun souvenir, en tout cas.

Lord Hadleigh se tourna vers son hôte.

– Savez-vous pourquoi on ne la voit jamais ŕ Londres ?

...

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